Alors que des inquiétudes se font jour sur l’évolution de la production mondiale de riz dans les années qui viennent, Madagascar, le troisième producteur d’Afrique, se donne les moyens d’assurer son autosuffisance et de devenir exportateur notamment grâce à la culture de riz hybride.
À quoi ressemblera la campagne rizicole 2022/2023 ? Selon la FAO, la production mondiale de riz devrait atteindre près de 519 millions de tonnes, soit un bon résultat par rapport à la campagne 2022 (512,8 millions de tonnes, en baisse de 2,4% par rapport à 2021). C’est à peine plus que l’utilisation mondiale (environ 518 millions de tonnes), ce qui devrait donc contribuer à ne pas augmenter les stocks mondiaux, aujourd’hui évalués à 181 millions de tonnes. Pour autant, un certain nombre d’experts expriment une certaine inquiétude sur l’évolution de la production dans les prochaines années. La société d’études Gro Intelligence spécialisée dans les produits agricoles et le Département de l’agriculture des États-Unis (USDA) anticipent une baisse de l’ordre de 2% par an de la production au cours des prochaines années. La Chine et l’Inde, qui représentent environ 50% de la récolte mondiale, font face à des accidents climatiques graves (sécheresse dans la vallée du Yang Tsé et pluies de mousson inférieures à la moyenne dans les grandes régions indiennes productrices comme le Bengale-Occidental, le Bihar ou l’Uttar Pradesh). Ainsi, l’Inde ne produira cette année que 124 millions de tonnes contre 130 millions lors de la dernière campagne.
Compte tenu de l’évolution de la démographie dans les grandes régions de consommation, cette tension sur la production aura des conséquences sur le commerce international du riz. Cette céréale est d’abord autoconsommée, ce qui explique que le marché international ne porte que sur environ 50 millions de tonnes par an, avec deux acteurs majeurs : l’Inde du côté des exportations, la Chine du côté des importations. La riziculture indienne a exporté environ 20 millions de tonnes cette année, mais seulement 16 millions l’année prochaine, en raison d’un embargo sur les exportations imposées au riz brisé et à une taxe de 20% sur les autres variétés. En face, la Chine importe environ 5 millions de tonnes dont plus de 1 million de tonnes de riz brisé dont elle a un important besoin pour la nourriture animale compte tenu des épisodes de sécheresse auxquels elle doit faire face.
Une situation anormale
Les quantités de riz disponibles sur le marché mondial devraient donc se réduire, ce qui risque de poser un problème particulier à l’Afrique. Le continent importe en effet 14 millions de tonnes par an (pour une valeur d’environ 7 milliards de dollars), soit environ 40% de sa consommation. En 2021/22, l’Inde a fourni 55% des importations du Sénégal et 45% de celles de Côte d’Ivoire. Pour les experts africains, cette situation est anormale. Alors qu’elle représente 13% de la population mondiale, l’Afrique compte pour 32% dans les importations de riz. Or, comme l’a rappelé le Président de la République de Madagascar, Andry Rajoelina, lors du Choiseul Africa Business Forum, le 20 octobre 2022 à Casablanca, « l’Afrique possède 60% des terres arables non exploitées dans le monde, elle représente clairement l’avenir de l’humanité. »
Comme l’explique l’organisation internationale RiceAfrica, le riz est l’aliment principal en Afrique de l’Ouest et à Madagascar. Il est cultivé dans 40 des 54 pays africains et il est la principale activité et source de revenus de plus de 35 millions de petits cultivateurs à travers tout le continent. En raison de la croissance démographique, de l’urbanisation et de l’évolution des modes de consommation, l’augmentation annuelle de la consommation de riz en Afrique va dépasser les 6% dans les années qui viennent. Si l’Afrique n’augmente pas sa production, elle se trouvera sous la double contrainte de quantités manquantes et de prix en hausse.
Pour RiceAfrica, la solution est donc dans l’augmentation des capacités de production en Afrique, un travail sur les variétés et les semences et un accroissement des investissements dans la riziculture. Un certain nombre de pays mettent en place des plans ambitieux comme le Niger par exemple, où le gouvernement a lancé en septembre 2022 une nouvelle feuille de route pour le développement de la filière riz avec un plan d’investissements de 653 millions de dollars sur dix ans, pour faire passer la production de riz paddy à plus de 1,4 million de tonnes contre 127 000 tonnes en 2021. Objectifs : atteindre 100% de couverture des besoins du pays (environ 500 000 tonnes de riz blanc aujourd’hui) à l’horizon 2030, création de 420 000 emplois et de 2 000 unités de transformation.
Madagascar mise sur l’augmentation des surfaces et le riz hybride
Madagascar veut aussi jouer sa partition sur une grande échelle. La Grande Île est le troisième producteur africain de riz derrière le Nigéria et l’Égypte. Mais sa production a baissé de 6% en 2021/2022, à 4 millions de tonnes, en raison de la sécheresse qui affecte un certain nombre de régions productrices. Cette situation a provoqué une augmentation de 15% des importations, à 650 000 tonnes. Face à ce déséquilibre, le Président Andry Rajoelina a fixé un objectif, dans le cadre du Plan Émergence Madagascar (PEM) : assurer l’autosuffisance du pays et en faire le futur grenier à riz de l’Océan Indien.
Le PEM prévoit de porter les surfaces rizicoles de 11 000 hectares en 2019 à 100 000 hectares en 2023, 180 000 hectares en 2027 et 240 000 hectares en 2030[1]. L’objectif est que Madagascar atteigne l’autosuffisance en 2024 avec une production additionnelle de 500 000 tonnes et devienne exportateur de riz dès 2027.
Mais l’augmentation des surfaces ira de pair avec le développement d’une nouvelle variété, le riz hybride. Elle a été mise au point par un scientifique chinois Yuan Longping, fondateur de la société LongPing High Tech Agricultural, après plusieurs années de recherche à Madagascar pour trouver la variété la plus adaptée au climat et aux sols de la Grande Île. Ce riz hybride présente la particularité d’offrir des rendements bien supérieurs : 8 tonnes à l’hectare contre 3 tonnes pour le riz ordinaire. Certains agriculteurs malgaches ont même obtenu 12 tonnes à l’hectare. Ce riz est en outre plus résistant à la sécheresse. Mais il nécessite l’application de techniques culturales différentes (il ne se repique pas) et donc une formation spécifique des agriculteurs.
En septembre 2022, un accord a été conclu entre le ministère de l’Agriculture et de l’Élevage et le groupe malgache Société de trading Océan Indien (Stoi), par ailleurs important exportateur de vanille, pour développer la culture de ce riz hybride. Des semences vont être distribuées à 150 000 petits et gros planteurs de toutes les régions. Le gouvernement a organisé en août dernier des assises de consultation sur le riz hybride. L’objectif du ministère de l’Agriculture et de l’élevage est de parvenir à une production de 6 millions de tonnes en 2023 et une augmentation de 10% par an jusqu’en 2027. Pour la campagne rizicole 2022, le riz hybride a été cultivé sur une superficie de 12 000 hectares avec près de 20 000 riziculteurs et le gouvernement prévoit de cultiver des semences sur plus de 2 000 hectares. L’objectif est d’atteindre 50 000 hectares de surfaces cultivées en riz hybride et de développer des semences locales.
Madagascar est ainsi le premier pays africain à développer l’ensemble de la filière du riz hybride : sélection et production de semences, plantation, transformation et vente.
[1] Madagascar dispose d’une grande réserve de terres arables non cultivées : seulement un cinquième des terres irriguées (500 000 hectares) ont été mises en valeur.