Entrepreneur belgo-congolais, à la tête du groupe Forrest International et de GoCongo, George Forrest s’est imposé comme l’un des principaux hommes d’affaires de République démocratique du Congo. Il développe aujourd’hui sa vision du développement économique africain et, notamment, de ses potentialités agricoles.
En tant que dirigeant de l’un des principaux groupes privés congolais, vous accordez au secteur privé un rôle majeur dans le développement socio-économique du continent africain. Comment les pouvoirs publics doivent-ils en faciliter la mobilisation ?
Posons d’abord un constat. Plus de 10 millions de jeunes entrent, chaque année, sur le marché du travail africain. Une masse que l’actuel marché de l’emploi ne peut pas absorber. Les effets délétères en sont nombreux : chômage de masse, prédominance d’une économie de subsistance informelle, immigration incontrôlée vers les pays occidentaux… Le développement d’un réseau de TPE, PME et de grandes entreprises doit, à terme, constituer le cœur économique du continent africain et permettre d’offrir des débouchés à cette masse de travailleurs. D’autant que les besoins ne manquent pas : agriculture, transition écologique, infrastructures, services…
Si l’on doit attendre une seule chose de nos gouvernements, c’est de faire de l’amélioration du climat des affaires leur cheval de bataille, en luttant fermement contre la corruption, en simplifiant le cadre réglementaire et légal, en apportant clarté et sûreté aux investisseurs internationaux, mais aussi en construisant l’Afrique unifiée de demain, via les projets d’intégration régionaux et continentaux, comme le ZLECaf (NDLR. Un projet de zone de libre-échange en cours sur l’ensemble du continent africain), par exemple.
Beaucoup de rapports déplorent, en Afrique, un déficit de compétences au sein de la jeunesse africaine : les pouvoirs publics peuvent y répondre par l’éducation et la formation. L’entrepreneuriat est une aspiration de beaucoup de jeunes Africains : les pouvoirs publics peuvent créer les conditions pour en faciliter l’accès. Plus largement, c’est donc une véritable politique d’investissements dans la jeunesse qui est attendue.
L’Afrique demeure l’un des continents les moins électrifiés du monde, malgré un énorme potentiel encore inexploité, selon les données les plus récentes de l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE). Plus généralement, les besoins en infrastructure du continent sont énormes et les réponses encore en partie sous-dimensionnées. Quelles sont, pour vous, les causes profondes de ce phénomène ?
Le sous-dimensionnement en infrastructures est aussi l’une des causes de notre retard industriel. Comment créer des entreprises viables quand l’accès à l’électricité est parfois défaillant ou quand les infrastructures routières sont obsolètes ? L’une des principales explications est évidemment le retard de financement entre ce que nous avons et ce qui est nécessaire pour répondre aux besoins en infrastructure — selon la Banque africaine de développement, il manquerait entre 70 et 100 milliards de dollars de financement —. Ces besoins en financement sont d’autant plus problématiques et délicats à combler que les gouvernements africains ont des marges budgétaires limitées, des ratios d’endettement moyens qui ont presque doublé en dix ans et font face à une réduction systémique de l’aide au développement venue des pays du Nord. Il est, dans ce domaine, plus qu’indispensable d’accélérer la mise en œuvre de nouveaux mécanismes pour accélérer la construction d’infrastructures sur le continent.
Les PPP sont, dans le cas des infrastructures, des outils particulièrement précieux et qui permettent de voir sortir de terre des projets non seulement nécessaires, mais encore difficilement supportables financièrement pour le seul secteur public. Ils le sont particulièrement quand un cadre clair existe, quand les porteurs de projets sont appelés à se fournir auprès des PME locales, quand un régime incitatif est mis en œuvre pour limiter les risques du secteur privé.
Depuis plusieurs mois, la notion de « revanche des sols sur les sous-sols » commence à émerger en République démocratique du Congo. Vous avez d’ailleurs ouvertement soutenu la nécessité d’un développement agricole massif de la RDC, plutôt que de soutenir toujours plus la course aux richesses minières. Pensez-vous qu’il est possible d’appliquer cette stratégie à l’ensemble du continent africain ?
La littérature scientifique a beaucoup démontré que le niveau de développement d’un pays était très souvent décorrélé de ses richesses géologiques. Le développement socio-économique d’un pays ne peut en effet pas être uniquement fondé sur des ressources qui, à plus ou moins grande échéance, restent périssables. C’est pourtant le choix qui a trop souvent été fait, souvent sous la pression de grandes puissances occidentales et, maintenant, aussi asiatiques.
Le cas de la RDC est particulièrement symptomatique : le pays est considéré dans l’indice mondial de la faim — un classement de référence — comme en situation alimentaire « alarmante », avec 27 millions de personnes en insécurité alimentaire. Et pourtant, la superficie de nos terres arables, nos apports en eau et notre climat nous permettraient non seulement d’être autosuffisants, mais encore d’être des contributeurs nets à la sécurité alimentaire mondiale.
L’Afrique n’est pas un bloc monolithique mais, malgré tout, cette stratégie peut sembler viable à l’échelle continentale. C’est d’autant plus vrai que l’Afrique dispose d’un des plus grands potentiels agricoles du monde avec un quart des terres cultivables. Pourtant, le continent ne contribue qu’à moins de 10 % de la richesse agricole mondiale. Une réflexion globale sur le développement de notre modèle agricole doit être menée pour en accompagner la mécanisation, la numérisation et la montée en compétences de nos agriculteurs. Donc oui, un accent sur le développement agricole est nécessaire sur l’ensemble du continent.
Le Groupe Forrest International, que vous dirigez, est d’ailleurs totalement sorti de ses anciennes activités minières. La holding GoCongo, dont vous êtes aussi président du conseil d’administration, multiplie les investissements et les acquisitions stratégiques dans le domaine agricole congolais tout en poursuivant une croissance solide de ses capacités. On peut deviner que vous tentez d’appliquer ce principe dans vos activités économiques…
Le groupe Forrest est en effet entièrement sorti du secteur minier pour se recentrer sur des filières essentielles au développement socio-économique du Congo, notamment les infrastructures routières et électriques et le secteur du bâtiment et travaux publics.
J’investis personnellement dans le secteur agroalimentaire depuis une quinzaine d’années. Ma vision est assez globale. Nous avons certes des milliers d’hectares de maïs ou de blé en exploitation et dans une moindre mesure, du soja ou de la papaye. Des milliers de têtes de bétail aussi. Mais nous avons aussi des capacités de transformation directement au Congo, avec une minoterie et une grande usine de biscuits.
C’est un enjeu majeur : l’Afrique doit tirer le profit maximum de ses richesses et, pour ce faire, ne pas se limiter à la seule extraction mais s’atteler à maîtriser l’ensemble de la chaîne. Le modèle de l’exportation de produits bruts et non transformés vers les pays occidentaux, qui gèrent eux-mêmes la transformation des produits — et en tirent une majeure partie de la valeur ajoutée —, est inadapté aux besoins socio-économiques de l’Afrique et plombe notre croissance.
Le Groupe Forrest mène une politique sociale active, notamment à travers les actions de sa Fondation. Considérez-vous que, en Afrique, le secteur privé doit mener une stratégie RSE plus volontariste qu’ailleurs ?
La RSE est un outil de développement socio-économique comme un autre. Il permet à des entreprises de sortir du seul prisme économique et des seuls indicateurs financiers pour en faire des acteurs positivement implantés au sein des communautés. En Afrique, elle est aussi un outil de transition qui permet de pallier les difficultés des pouvoirs publics dans certains secteurs en difficulté, comme la santé ou l’éducation, en répondant aux besoins directs des populations. À bien des égards, je pense donc que les grandes entreprises implantées en Afrique ont un rôle social puissant, qu’elles doivent s’attacher à cultiver et intégrer dans leur stratégie.