Le narco-Etat : l’Etat qu’on n’a pas voulu voir venir !

Publié le 04 novembre 2024

Ces hommes ne figureront jamais dans les manuels d’économie : Charles « Lucky » Luciano, Meyer Lansky et Benjamin « Bugsy » Siegel. Pourtant ils ont inventé l’économie internationale de la drogue.

Dans les années 1920, ces jeunes immigrés liquident la mafia traditionnelle aux Etats-Unis pour imposer un nouveau modèle professionnel facilité par les ressources de la prohibition.

Après 1945 se met en place une économie mondialisée. Elle sort du cadre ancien – artistes et opiomanes – pour aller dans la rue : étudiants puis cadres supérieurs stressés et enfin population misérable en quête d’oubli. La guerre du Vietnam et 1968 créent un effet d’accélération.

Une première phase, 1950-1980, voit l’émergence de l’héroïne depuis le Sud-Est asiatique et la banalisation de la marijuana et du LSD. La deuxième, celle de l’explosion de la cocaïne depuis l’Amérique latine et des drogues de synthèses (amphétamines, opioïdes, kétamine, captagon…).

Peu à peu, des groupes révolutionnaires comme les FARC évoluent vers le trafic tandis qu’émergent des empires criminels (Escobar et les cartels) dotés d’un trésor de guerre. Ces groupes, certes en compétition violente, s’accordent sur le contrôle des pays de production. La menace « plata o plomo » (argent ou plomb) ne laisse que peu d’options aux gouvernants et fonctionnaires.

Face à ce fléau, les Etats ont été aveugles ou ont détourné le regard. Seuls les Etats-Unis ont engagé une riposte forte avec la création de la Drug Enforcement Administration (DEA) en 1973, mais les résultats n’ont pas été à la hauteur de l’investissement. Les autres Etats se sont plutôt attachés à traiter la conséquence (le trafic in situ) mais peu la cause.

Ainsi la lecture policière et judiciaire appliquée aujourd’hui ne correspond plus à la dimension stratégique de l’économie de la drogue qui « représenterait un marché de 400 à 500 milliards de dollars par an.[1] »

Le narco-Etat s’oppose frontalement aux gouvernements (comme en Equateur). Mais les groupes sont aussi en lutte pour le marché (comme en France). Dans ce schéma, les forces de police sont considérées comme un concurrent et non plus comme l’expression d’un pouvoir supérieur.

Il s’agit alors de repenser la lutte contre l’économie de la drogue dans une dimension nouvelle allant bien au-delà du flic et du juge mais s’inscrivant dans un cadre international combiné avec tous les moyens militaires, diplomatiques et économiques disponibles : une DEA de droit international, par exemple, alliée à une réflexion globale sur la consommation.

[1] Mickaël R. Roudaut, Marchés criminels : un acteur global, PUF ; Paris, 2010, p. 173-213.