Voici que la France se jette à nouveau dans les passions politiques, voici réouverte la fameuse guerre civile permanente si bien décrite par l’historien Michel Winock dans son classique La Fièvre hexagonale, et résumée par cette phrase de François Mauriac en 1968 : « je ne crois pas qu’il y ait plus de haine aujourd’hui chez nous qu’au bon vieux temps. La guerre civile y a été froide ou chaude selon les époques, mais perpétuelle. »
Tout indique que nous nous réveillons d’une période de glaciation, depuis le « ni ni » mitterrandien jusqu’au « en même temps » macronien, peut-être un peu trop fraiche, et que nous basculons d’emblée dans une forme de canicule dangereuse. L’une des principales raisons en est la mutation de notre espace public : l’atmosphère y est progressivement saturée d’informations trompeuses, biaisées, décorrélées des faits. Comment limiter l’effet de serre numérique ?
Dans un colloque récent organisé par l’Académie de Défense de l’Ecole militaire et dédié à la « désinformation, enjeu de la défense nationale », la chercheuse Christine Dugoin-Clément a noté que « l’émergence des nouvelles technologies a mené à une démultiplication de la désinformation », permettant notamment à certains Etats de semer le trouble dans d’autres pays. Marc-Antoine Brillant, chef du service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (VIGINUM), précise que la menace s’est complexifiée, « avec la possibilité d’instrumentaliser très rapidement des faits d’actualité » et développement de bots ou l’usage de l’IA générative.
Une réponse offensive et collective
Face à ce climat délétère, le général de brigade Pascal Ianni, de l’état-major des armées, appelle à « avoir une posture résolument offensive. Ce n’est pas seulement le problème des armées françaises, c’est celui de la société française dans son ensemble ». De nombreux acteurs se sont saisi graduellement de ce sujet dans les 15 dernières années, à la Défense, l’Intérieur, l’Education nationale, mais aussi dans les associations et les entreprises. Ils doivent davantage occuper l’espace informationnel, être réactifs, créatifs et s’adapter aux nouveaux outils. Certains réseaux sociaux n’ont encore pas pris en compte de façon suffisante la régulation de leurs propres espaces. Enfin, une meilleure éducation à l’information, dès l’école, apparaît nécessaire, tant la désinformation rime avec « sous formation » et donc avec « déformation », souligne le général de corps d’armée Benoît Durieux.
Alors que la fièvre monte et que la guerre civile française semble se réouvrir, beaucoup reste à faire pour lutter contre l’effet de serre numérique.
Ce texte est inspiré par l’intervention de l’auteur et celles des experts cités lors du colloque « Désinformation : comment la détecter et y répondre par l’action collective » du 6 juin 2024, organisé par l’Académie de défense de l’École militaire (Academ), et dont le résumé ainsi que la vidéo peuvent être consultés sur le site du ministère de la Défense.