Est-ce que les actionnaires sont touchés par le Covid, ont-ils perdu leurs nerfs ? Nous assistons à un grand nombre de batailles boursières et actionnariales. Selon l’étude menée par Activistmonitor et le cabinet Skadden, 60 nouvelles campagnes publiques ont été menées à-propos d’entreprises européennes en 2020. Et 80% des dirigeants d’entreprise interrogés estiment que ce phénomène va continuer voire augmenter.
L’année dernière, le 1er confinement a été illustré par la campagne d’Amber Capital pour changer la gouvernance du groupe Lagardère. Ensuite, Veolia lance une OPA sur son concurrent Suez, à l’automne de nouveaux actionnaires d’Unibail se mobilisent pour faire échec à l’augmentation de capital proposée par le management. Dernier épisode en date, pour les structures qui appartiennent au SBF 120, vous avez le conseil d’administration de Danone qui dissocie la fonction de Président Directeur général d’Emmanuel Faber, et cela sous la pression de certains actionnaires.
Aux États-Unis nous avons vu les actionnaires individuels monter au front pour défendre une enseigne emblématique Gamestop et prendre le contre-pied des fonds qui s’étaient positionnés à découvert. Ces derniers se sont retrouvés pris à contre-pied comme les investisseurs individuels qui ont acheté trop tard !
Ce qui est intéressant dans toutes ces histoires, c’est le profil des actionnaires qui s’expriment et qui essayent de faire bouger les lignes. Lorsqu’Artisan Partners investit dans Danone et s’exprime sur la stratégie et la gouvernance de l’entreprise, c’est une première. Artisan Partners n’est pas ce que l’on peut appeler un fonds actif, au contraire. C’est un asset manager comme tous les autres. Certains d’entre eux votent au AG mais ils n’expriment pas publiquement leurs opinions sur leurs participations. La prise de parole d’Artisan Partners est-il un signal pour l’ensemble des actionnaires afin qu’ils prennent part au débat sur l’avenir de leurs investissements ? Est-ce une prise de conscience de la part de ces grands asset managers que les enjeux de gouvernance et de stratégie sont essentiels pour la valorisation de leurs participations. Quand BlackRock, Amundi, Franklin Templeton… vont-ils partager leurs opinions et leurs votes en AG ?
Ces changements sont la marque d’une nouvelle époque. Nous vivons une réelle prise de conscience que voter « avec ses pieds » n’est plus suffisant pour le développement des entreprises. Si des fonds comme Artisan Partners participent aux débats concernant leurs participations et que les autres asset managers suivent, nous aurons droit à un réel débat et les dirigeants des entreprises seront challengés et leurs conseils seront obligés de tenir compte des différents avis. Les actionnaires individuels ne peuvent que se féliciter les débats soient mis sur la place publique. Ainsi les AG deviennent de réelles assemblées délibératives où tous les points de vue peuvent s’exprimer et se traduire de effectivement dans les votes. Encore faut-il que les droits des actionnaires soient préservés pendant les AG à distance. Malheureusement la plupart des entreprises françaises ne prennent pas ce sujet avec attention. Les droits des actionnaires vont encore être limités (les actionnaires ne pourront révoquer un administrateur lors de l’AG, les questions des actionnaires ne seront pas faites en direct…). Pourquoi avoir peur de l’opinion de ses actionnaires ? Pourquoi les priver de débat ?
Nous sommes au début d’un réel changement de paradigme dans la gouvernance des entreprises cotées. Et le rôle des fonds actifs y est pour beaucoup. Les considérer comme de simples « agitateurs » motivés par une plus-value rapide nous semble être une erreur. La démocratie implique le débat. Encore faut-il que celui-ci soit alimenté en amont par une véritable analyse dont les éléments sont partagés avec l’ensemble des actionnaires. Trop souvent encore, certains actionnaires « de référence » agissent selon des critères qui échappent aux règles de bonne gouvernance, ou les initiatives se retrouvent neutralisées par un conseil « bienveillant » combiné à un manque de coordination entre des actionnaires dispersés (cf. la structure actionnariale de la plupart des groupes du CAC40)
Ainsi quand un ministre de l’économie prend une position dans une bataille boursière, quels sont les réels bénéfices pour l’entreprise et ses actionnaires s’agissant d’une entreprise privée ? Sauf à élargir un peu plus la vision et considérer la responsabilité sociétale de l’entreprise dont l’état, actionnaire ou non, serait le garant. Malheureusement, dans le cas de la France, les interventions ou les non-interventions de l’Etat, y compris dans les entreprises dont il est actionnaire, semblent encore dictées par les motivations qui relèvent plus de « l’ancien monde » que du nouveau.
Être actionnaire implique des responsabilités et un certain appétit pour le risque. Le retour des actionnaires individuels sur le marché est une bonne nouvelle dans un pays où l’orientation de l’épargne reste encore et avant tout conditionnée par des décisions de nature fiscale. Pérenniser ce mouvement nécessite indubitablement d’éduquer, de responsabiliser et de donner « du sens » au rôle des actionnaires. Une responsabilité à partager entre les dirigeants des entreprises, les réseaux de collecte de l’épargne et l’Etat, dans ses fonctions régaliennes.