« Est-ce que l’on aurait pu prévoir la pandémie du Covid 19 ? Peut-être dans son principe, mais certainement pas dans ses détails. Les experts nous alertaient depuis plusieurs années face à ce type de risques. Mais le plus important pour réagir face à une telle crise est de se comporter de manière agile. Il est impossible et trop coûteux de vouloir toujours tout prévoir. »
C’est ce qu’explique Xavier Durand, le directeur général de COFACE, l’un des géants mondiaux de l’assurance-crédit, qui vient de sortir l’ouvrage « Oser le Risque : Le management dans un monde incertain », fruit d’une expérience de trente années de responsabilités managériales, de projets de développement et de croissance mais aussi de crises résolues, à travers une trentaine de pays. « Pour toute organisation, et en particulier l’entreprise, la création de valeur et la différenciation passent, dans la durée, par l’apprentissage de la maîtrise des risques, et un élargissement bien mené de son « domaine de confort », écrit ce polytechnicien de 56 ans, diplômé de l’École Nationale des Ponts et Chaussées, dans l’introduction de son ouvrage.
Orienter les stratégies dans un monde de plus en plus incertain
Selon cet ancien cadre dirigeant de l’américain GE Capital, face à un monde de plus en plus volatil, incertain, ambigu et complexe, les stratégies, quoiqu’utiles, n’ont pas des durées de vie très longues. « Elles ne peuvent ni ne doivent être considérées comme des dogmes inchangeables. La maîtrise des risques permet de négocier efficacement les immanquables et imprévisibles tournants auxquels l’avenir nous condamne », résume-t-il. Quelles seraient, dans ces conditions, les qualités cardinales du dirigeant amené à affronter une tempête économique, organisationnelle ou sanitaire ?
Selon Xavier Durand, le dirigeant doit, avant tout, faire preuve de détermination mais aussi d’une forte capacité à la connaissance de soi, au lâcher-prise et à l’humilité. Des qualités indispensables pour créer un « véritable espace de confiance et de collaboration » pouvant exploiter au mieux les compétences portées par les salariés de l’entreprise. Ces principes, le dirigeant s’est efforcé de les mettre en œuvre lorsqu’il a pris les rênes de COFACE, en 2016. A l’époque, l’entreprise, qui compte aujourd’hui 4 200 salariés, menaçait d’être rétrogradée dans la hiérarchie de son secteur. 5 ans, plus tard, le groupe est devenu un véritable challenger dans l’univers de l’assurance-crédit et a dépassé tous les objectifs financiers et opérationnels qui avaient été fixés avec, notamment, un ratio de solvabilité passé de 150 à 190% entre 2016 et 2019, et une augmentation de 9% des recettes.
« Notre retournement spectaculaire est le résultat d’une combinaison de plusieurs facteurs, comme celui de la valorisation du client, de l’expertise, de la collaboration au sein de notre organisation mais aussi du courage et de la responsabilité pour prendre des décisions pertinentes. Sans compter l’absolue nécessité de laisser des marges de manœuvre à ses équipes pour décider localement » tient à souligner Xavier Durand qui s’est efforcé d’appliquer les mêmes principes pour s’adapter à la crise du covid-19 et ainsi ne pas remettre en question les résultats chèrement acquis au cours des 4 dernières années. Le passage au télétravail au sein des équipes de COFACE s’est ainsi effectué en 24 heures et sans accroc.
Faut-il vraiment chercher à dompter l’incertitude ?
« La productivité des équipes de gestion des risques a été multipliée par plus de deux. L’entreprise a enregistré des résultats financiers positifs malgré une crise sans précédent depuis soixante-dix-ans. Et enfin, très important, la communication client est restée ininterrompue », se réjouit le directeur général de COFACE qui souligne le fort taux d’engagement des collaborateurs pendant cette période anxiogène (+24%, par rapport à l’année précédente). Passionné de jazz, médaillé du Conservatoire après un parcours en musique-études avant son entrée à l’X et bugliste amateur, Xavier Durand aime convoquer la métaphore musicale, en l’occurrence jazzistique, pour définir le risque qu’il envisage comme « une affaire de culture et d’improvisation maîtrisée ».
Selon le dirigeant, dans un monde de risques – souvent qualifié de VUCA (« Volatile, uncertain, complex & ambiguous »), trop d’entreprises imaginent qu’elles sont en mesure de dompter l’incertitude et les menaces en multipliant les process, les règles de reporting, les efforts de planification stratégique et en utilisant les dispositifs de contrôle censés réduire ou annihiler les aléas. « Vouloir se rassurer par les processus ne suffit pas, et peut même être dangereux. Envisager réduire ou encadrer à l’excès les risques est au mieux une quête illusoire, au pire un frein à l’innovation et à la performance », analyse-t-il, estimant que plutôt que de chercher à éviter à tout prix les risques, le décideur doit les assumer et accepter le fait qu’il évolue dans un environnement « erratique » et qu’il ne peut se cacher derrière « l’illusion de mécanismes de contrôle infaillibles ».
Le jazz comme boussole
« L’une des explications du succès retrouvé de COFACE vient du fait que nous nous sommes efforcés de créer une culture d’entreprise capable d’insuffler confiance, agilité, transparence et prise d’initiative », pointe Xavier Durand qui estime que le risque ne représente pas seulement un facteur de chaos ou de perte de repères mais qu’il offre une opportunité propice à l’inventivité, à la réflexion, à la remise en question et à la création de valeurs. A l’image du jazz. « Dans le jazz, à la différence de la musique classique, même si les musiciens définissent un tempo au préalable, l’improvisation s’impose. C’est de ce bouillonnement et de ce chaos, que peut surgir la beauté. Idem pour le business. Si on se contente de réciter ses gammes, en jouant la sécurité, la création de valeurs sera moindre ».
Si pour affronter les crises futures, le dirigeant se doit d’être un « leader authentique », selon l’expression du psychanalyste d’entreprise Manfred Kets de Vries que ce dernier oppose aux dirigeants « traditionnels » et « autocratiques », il doit également faire preuve de recul sur soi et d’humilité. « La crise du covid-19 a remis en valeur les vertus d’un management plus modeste face à la complexité du réel et les incertitudes du monde VUCA, conclut Xavier Durand. Le mythe du manager omniscient est une fiction et un mirage ».