Alexandre Rigal (Junia) : « Répondre aux transitions écologiques, numériques, énergétiques et industrielles »

Publié le 15 avril 2025

Il y a de la jeunesse dans le nom que se donne l’ex-Yncréa Hauts-de-France en 2020, Junia. Rattachée à l’Université catholique de Lille, cette « grande école d’ingénieurs » (c’est son sous-titre) créée en 1885 à Lille forme aux transitions : nourrir durablement la planète, développer la transformation numérique et industrielle, accélérer la transition énergétique et urbaine, renforcer les technologies de la santé et du bien-vivre. Ses chiffres-clés :  5 000 étudiants, 35 000 diplômés, 430 collaborateurs, elle assure la cotutelle de 4 laboratoires de recherche publics régionaux et une implication dans 11 autres laboratoires. Rencontre avec un dirigeant venu tout droit de Bpifrance.

En quoi JUNIA répond-elle aux besoins de transition et de transformation des entreprises ?

JUNIA se positionne comme une école des transitions – écologiques, numériques, énergétiques et industrielles. Historiquement, les écoles d’ingénieurs ont été créées pour répondre aux besoins économiques de leurs territoires. Cette mission reste au cœur de notre identité, mais les enjeux ont changé. Aujourd’hui, les entreprises, en particulier les PME et ETI, font face à des transitions de plus en plus complexes, nécessitant des innovations qui se situent au croisement de disciplines variées.

Chez JUNIA, nous avons réuni trois écoles – HEI, ISA et ISEN – pour former un établissement capable de répondre à ces défis. Ce regroupement nous permet de proposer une formation qui dépasse les silos disciplinaires : un ingénieur formé chez nous ne se spécialise pas uniquement dans son domaine, il apprend également à collaborer avec d’autres secteurs. Cela correspond à notre mission : être un établissement de technologie moderne au service des entreprises et des territoires.

On entend régulièrement parler d’une pénurie d’ingénieurs, que vous disent les entreprises à ce sujet ? Quels sont leurs besoins ?

La pénurie d’ingénieurs est bien un défi bien réel. Aujourd’hui, il nous est difficile de répondre entièrement à la demande croissante, car le cycle de formation d’un ingénieur dure généralement cinq ans, tandis que les besoins des entreprises évoluent souvent beaucoup plus rapidement, notamment dans des secteurs comme le numérique.

De plus, les entreprises ne demandent pas uniquement des ingénieurs. Elles ont aussi besoin de techniciens supérieurs et de managers intermédiaires capables de piloter des équipes ou des chaînes de production.

Pour répondre à cette demande, nous avons développé des programmes de Bachelor technologique, qui permettent aux étudiants d’obtenir un diplôme intermédiaire avant un éventuel bac +5. Cela attire également des jeunes issus de filières technologiques, qui souffrent encore d’une mauvaise image en France mais devraient être valorisées comme des filières d’excellence.

Enfin, les entreprises expriment un besoin croissant de formation continue pour leurs cadres, en particulier dans les PME et ETI. Ces entreprises manquent souvent de ressources pour requalifier leurs collaborateurs sur les enjeux des transitions. Nous travaillons à intensifier notre offre en formation tout au long de la vie pour répondre à ces besoins.

Comment accompagnez-vous vos étudiants pour répondre efficacement aux besoins des entreprises ?

Nous combinons une formation solide en hard et en soft skills. Nos étudiants reçoivent une base scientifique et technologique classique, mais ce qui fait la spécificité de JUNIA, c’est notre approche interdisciplinaire. Par exemple, un étudiant spécialisé en électronique et numérique travaille régulièrement sur des projets communs avec ses camarades spécialisés en agro-sciences ou en industrie. Cela leur permet de développer une vision globale et de s’exercer à collaborer avec des profils différents.

Nous insistons également sur les enjeux éthiques et les impacts sociétaux de leurs choix professionnels. Nous voulons former des ingénieurs qui ne soient pas seulement techniquement compétents, mais aussi capables d’assumer leur rôle de « passeurs d’innovation ». Je leur rappelle souvent lors de leur remise de diplôme qu’ils doivent mobiliser la science pour répondre aux besoins concrets de la société.

Comment JUNIA parvient-elle à maintenir une identité nationale tout en ayant des campus répartis à Lille, Bordeaux et Châteauroux ?

JUNIA est un établissement national avec une forte présence territoriale. Nos trois campus sont pensés pour répondre aux besoins spécifiques de leurs territoires. À Lille, nous sommes au cœur des Hauts-de-France, une région industrielle avec un fort potentiel technologique. À Bordeaux, nous nous adressons à des départements limitrophes plus ruraux, comme les Landes ou la Dordogne. À Châteauroux, nous avons répondu à une demande locale pour lutter contre la désertification économique.

Chaque campus partage la même mission : être au service des entreprises et des territoires. Nous voulons rapprocher les compétences des besoins locaux, ce qui est essentiel, notamment pour les PME et ETI en zones rurales, qui ont souvent du mal à recruter des talents.

Votre ancrage local influence-t-il les opportunités professionnelles de vos étudiants ? Trouvent-ils principalement des débouchés à Lille ?

L’ancrage local joue un rôle clé. Il permet à nos étudiants de trouver des opportunités professionnelles dans les territoires où nous sommes implantés, mais pas uniquement. Si une grande partie de nos diplômés commence leur carrière dans les Hauts-de-France ou à Paris, nous observons une diversification des débouchés grâce à nos campus de Bordeaux et Châteauroux.

Un défi persiste : donner envie à nos ingénieurs de rejoindre des PME ou ETI en zones rurales. Ces entreprises offrent souvent des responsabilités et des expériences très enrichissantes, mais elles sont parfois perçues comme moins attractives que les grands groupes. Nous travaillons à valoriser ces parcours auprès de nos étudiants, car nous croyons que ces choix peuvent être très formateurs et enrichissants.

Quels sont les résultats des collaborations entre JUNIA et des entreprises privées ?

Je pense à un exemple récent, un workshop que nous avons organisé à Bordeaux avec des entreprises locales pour ajuster une formation en fonction de leurs besoins spécifiques. Ce type de collaboration, qui combine recherche et interaction directe avec les entreprises, est une priorité pour JUNIA. À Lille, lors de notre forum des métiers, nous avons réuni 530 recruteurs pour nos 3 000 étudiants, ce qui montre l’intérêt des entreprises pour nos formations.

Nous avons un grand potentiel de recherche, avec une centaine d’enseignants-chercheurs et plusieurs laboratoires en cotutelle. Nous entendons ainsi développer davantage de projets de recherche partenariale avec les entreprises.

Comment JUNIA traduit-elle son engagement sociétal et environnemental ?

Nous sommes engagés dans plusieurs démarches de certification et de classement, je pense au classement des écoles réalisés par ChangeNOW, dans lequel nous sommes bien positionnés chaque année. Nous avons aussi développé une formation innovante, appelée «ODDyssée», qui initie les étudiants aux objectifs de développement durable de l’Organisation des nations unies. C’est un serious game immersif, que nous avons d’abord proposé en interne avant de le partager avec l’Université Catholique de Lille. Notre ambition est de l’étendre aux entreprises pour sensibiliser leurs salariés.

Cet outil illustre notre engagement à intégrer les enjeux sociétaux et environnementaux dans nos formations, tout en les rendant accessibles à un public plus large.

Une question plus personnelle : après votre expérience chez Bpifrance, qu’est-ce qui vous a motivé à rejoindre JUNIA ?

Mon expérience chez Bpifrance m’a permis de prendre pleinement conscience des besoins économiques des entreprises, en particulier dans les PME et ETI. J’y ai vu des entreprises me dire : « mon carnet de commandes est plein, mais je vais déposer le bilan parce que je ne trouve pas de personnel qualifié. » Ces témoignages m’ont marqué, car je savais que l’enseignement supérieur pouvait jouer un rôle clé pour répondre à ces besoins.

J’ai travaillé auparavant à la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs ou encore aux Arts et métiers, revenir dans une école comme JUNIA était pour moi une évidence. Mon objectif désormais, renforcer le positionnement de JUNIA comme acteur clé de la transformation économique et sociétale.