Le réel des transitions critiques : de la Data Driven Sustainability et une performance en pleine révolution

Publié le 26 février 2025
Sustainable business strategy

Entre crise économique et administrative, la transition durable des business models des entreprises reposent aujourd’hui sur la capacité à déployer des reporting. Jusque là mesurée par les bilans financiers, la performance inclut des paramètres extrafinanciers. Entre résultats nouveaux et moyens peu comparables, la réalité de déploiements des stratégies de durabilité se joue en eaux troubles. L’arrivée des directives européennes en matière de double matérialité a illustré le paradoxe : il est urgent d’agir, donc de commencer à mesurer l’impact mais sans les conditions préalables, la mise en place peut être particulièrement exigeante.

Faisabilité et impact d’une réglementation à effet déclencheur

“Faire mieux avec moins” voir “faire mieux avec de meilleures ressources” ou des ressources plus adaptées, semble une approche sensée. Mais quand cela touche au business model d’une entreprise, l’approche réglementaire peut constituer un obstacle. Le business model est une notion qui décrit comment [1] une entreprise crée de la valeur, la source interne de son avantage compétitif, et le mode d’appropriation d’une partie de cette valeur. Sur le papier, décréter le changement par le reporting (de type de choix d’approvisionnement, de design, de distribution ou de canaux de communication voir de production et de vente pour adapter le mode de consommation des ressources naturelles)  est plus complexe. Un travail invisible et approfondi de documentation, de formation, de recherche, d’expérimentation se déploie avant d’arriver à un produit tangible ou à une action mesurable pour des reporting extra-financiers tels que les CSRD. Il suffit de passer les portes des salles de réunion, pour entendre un clivage entre ceux qui font de la “Sustainability” une réalité et ceux qui prescrivent cette transition.

Selon un sondage IFOP , un salarié sur deux affirme que son entreprise est engagée dans une démarche RSE : pour 22%, celle-ci est formalisée à travers une charte ou un écrit, là où pour 27% ce n’est pas le cas. Ce même sondage relève un quart des salariés ne sachant pas se positionner sur cette question. Cela interroge  sur la visibilité et prise en compte réelles des actions menées en la matière par les entreprises. Car la particularité est que “les normes CSRD sont intéressantes sur le papier, toutefois cela nous a pris un temps considérable et un recrutement d’expertise spécifique pour monter en compétences et appréhender au mieux la complexité et l’incertitude de ce dispositif” témoigne Edouard* Chief of strategic sustainability. Les CSRD représentent une nouvelle réglementation ayant eu effet en 2024 pour les entreprises mais créent du remous. Elles visent à renforcer la qualité et la comparabilité des reportings de durabilité pour les entreprises d’abord cotées mais aussi suivant le niveau du chiffre d’affaire et du nombre de salariés (cf. calendrier de déploiement transposé par l’ordonnance no 2023-1142 du 6 décembre 2023).

Il ne s’agit pas que de trajectoire, d’indicateurs et de problèmes à résoudre mais aussi de prendre en compte les acteurs et les expertises pertinentes et la qualité des interactions. Ce surplus de charge de travail peut mener à des stratégies différentes de gestion des contraintes organisationnelles (Coron 2019) [2]  :

  • Engagement total : Acceptation et gestion proactive d’une charge de travail élevée
  • Résistance : Opposition active à une surcharge de travail perçue comme excessive
  • Retrait : Désengagement et limitation volontaire de l’investissement au travail
  • Équilibre : Recherche d’un juste milieu entre vie professionnelle et personnelle

La mise en place d’une réglementation à effet déclencheur comme les CSRD présente à la fois des opportunités et des défis pour les entreprises dans leur transition vers des modèles d’affaires plus durables. Bien que l’intention soit louable, la réalité de l’implémentation s’avère complexe et exigeante.

Articulation entre action stratégique, création de valeur et transversalité

Edouard* continue “Ce qui nous a aidé c’est d’avoir intégré dans notre stratégie, nos priorités en matière de durabilité. Nous étions donc préparés avant l’arrivée des CSRD. Ce reporting nous a aussi guidé pour prioriser ce qui était faisable dans notre trajectoire par rapport à ce qui n’était encore suffisamment mature. Cela a instauré une logique Data Driven Sustainbility.” Cette approche repositionne la question subjective et objective de la performance extrafinancière en particulier. Pour prévenir le scepticisme et la méfiance envers les actions menées, et non invectivant au changement, répondre aux la question du sens et de la gouvernance se posera tôt au tard. Garder une cohérence cognitive individuelle et collective ne passera pas que par des campagnes de vidéos e-learning pour lever les freins.

Pour anticiper cette surcharge effective de travail et prévenir les conséquences néfastes, il n’est pas question d’augmenter la capacité mais d’analyser les écarts entre le prescrit et le réel ainsi que d’améliorer la répartition de la charge de travail rarement envisagée. La charge de travail, notamment celle qualifiée d' »inintéressante », augmente le désengagement. Renforcer l’autonomie et la latitude décisionnelle représente aussi une piste pour que le reporting ne soit pas considéré que par un point de vue administratif mais comme un levier de prise d’initiative voir d’innovation ordinaire (Alter, 2010). L’approche Data Driven Sustainability peut aussi intégrer une approche réflexive plutôt que réactive au marché. Ces analyses et moyens systémiques préviennent l’enfermement du travail prescrit de la transition environnementale. Enfin, la mise en place d’une gouvernance adaptée et la recherche de sens dans les actions menées sont essentielles pour prévenir le scepticisme et maintenir l’engagement des parties prenantes.

L’ambiguïté de la notion de performance peut être outillée par des reporting tels que les CSRD. Toutefois, comme tout changement, celui-ci nécessite une approche systémique, alliant stratégie, analyse et engagement des parties prenantes. Les entreprises doivent non seulement se conformer aux nouvelles réglementations, mais aussi intégrer la durabilité dans leur business model. Cette transformation exige un équilibre entre les impératifs économiques et environnementaux certes mais aussi le soutien des parties prenantes et la faisabilité réelle. Une approche Data Driven Sustainability et axée sur le Travail Réel prévient une méfiance vis-à -vis de l’organisation et une méfiance sur les intentions réelles pour construire dans la durée.

*Le prénom a été modifié pour les besoins de l’interview anonyme

 


[1] Intégrer l’évolution de la stratégie et l’aspect humain de l’organisation dans l’approche par le Business Model : les apports du Modèle 4C Alexis Laszczuk (1) , Lionel Garreau (1) , Raphaël Maucuer (1)

[2] Clotilde Coron. La charge de travail des cadres : d’une typologie à une compréhension systémique. Relations Industrielles / Industrial Relations, 2019, 74 (1), pp.117-140. ⟨halshs-01963117⟩