Cet X mâtiné de Ponts-et-Chaussées connaît sa France par cœur. La France des réseaux, de l’eau à la mobilité. Et pour cause : du ministère de l’Équipement (1987), il plonge dans la Générale des eaux (Véolia aujourd’hui), dirige Degrémont (filiale de Suez Environnement) puis dès 2016 incarne Transdev, l’un des leaders mondiaux du transport public, détenu par la Caisse des Dépôts et Consignation (66%) et le groupe Rethmann (34%) : 12 millions de passagers, ensemble multimodal respectueux de l’environnement, plus de 102000 femmes et hommes dans le monde, présent dans 19 pays. En 2023, le groupe a réalisé un chiffre d’affaires total de 9,3 milliards d’euros. Le recul de huit ans et la vision d’avenir d’un PDG au cœur de l’action. Rencontre avec Thierry Mallet, président-directeur général de Transdev.
La France connaît en 2024 un contexte social et politique particulièrement agité. Quel rôle joue, selon vous, la mobilité et les transports en commun en matière de cohésion sociale ?
C’est le cœur du sujet. L’enjeu des transports publics, c’est la cohésion sociale et territoriale. Développer la mobilité, c’est répondre à la nécessité de se déplacer chaque jour pour se rendre au travail, pour étudier, pour se soigner, pour se rencontrer. La mobilité du quotidien, c’est la vie. Elle est essentielle à toute société humaine. L’émergence des grandes mégalopoles comme Paris, Shangaï ou Londres s’appuie d’ailleurs sur les transports en commun dits « de masse » sans lesquels ces villes n’auraient pas existé. C’est aussi vrai que ces immeubles transformés en gratte-ciel avec l’avènement de l’ascenseur. Leur taille n’a cessé de grandir parce qu’un moyen de transport évitait de monter à pied.
Des solutions variées, multiples, complémentaires entre elles, existent dans les grands centres urbains qui bénéficient d’un maillage dense. En périphéries, c’est le contraire. La voiture s’est imposée comme la solution de mobilité prédominante et ce n’est pas surprenant car c’est autour de la voiture que c’est développé l’urbanisme en périurbain
Que reste-t-il alors aux personnes qui n’en ont pas ou qui souhaitent en réduire l’usage, notamment pour des raisons économiques ? L’absence de solution peut se solder par à une « assignation à résidence ». A titre d’exemple, un quart des Français ont été amenés à refuser un poste ou une formation parce qu’ils ne disposaient pas de moyen de transport pour s’y rendre (ndlr : étude Elabe, 2017). On voit clairement que notre enjeu, collectivement, est de développer des alternatives, c’est-à-dire des solutions de mobilité, partout et pour tous.
Et très concrètement, quel est le rôle d’un opérateur comme Transdev pour relever ce défi de la cohésion sociale ?
Notre contribution, c’est d’apporter notre pierre à l’édifice : Transdev s’emploie à mettre en œuvre des solutions adaptées à chaque territoire et à chaque type de déplacement, justement pour faire le lien avec les périphéries. C’est toujours le fruit d’un travail que nous menons avec les collectivités pour comprendre et définir les besoins de mobilité. Notre défi numéro 1, c’est l’augmentation des offres de transport partagé. Elles génèrent un double gain, environnemental et de pouvoir d’achat. Notre préoccupation, c’est de ne pas laisser une partie de la population sur le bord de la route.
Ce que l’on a développé à la demande du Grand Reims en est un exemple concret. C’est un mélange à la fois de qualité de service dans le centre-ville avec des solutions classiques tram et lignes de bus, de lignes express en périphérie qui viennent compléter l’offre ferroviaire et de transport à la demande qui permettent d’assurer le premier et le dernier kilomètre et d’aller au plus près des habitants en zone peu dense. Cette composition organisée de services permet d’avoir un réseau unifié qui couvre l’ensemble de la Communauté Urbaine du Grand Reims et ses 143 communes et surtout, une offre de mobilité à moins d’un kilomètre des lieux d’habitation et de travail.
Autre solution de plus en plus plébiscitée par les collectivités, les cars express ont prouvé leur efficacité pour répondre rapidement et de manière flexible à la nécessité de relier les périphéries aux agglomérations. Ils représentent un véritable levier de préservation du pouvoir d’achat et des budgets des collectivités publiques. C’est la raison pour laquelle nous avons milité pour leur introduction dans les projets de Services Express Régionaux Métropolitains (SERM). La ligne que nous avons lancé en 2019 pour le compte de la Région Nouvelle Aquitaine entre les villes de Créon et Bordeaux est une réussite : plus de 1 000 passagers sont transportés par jour, dont 73% des usagers se rendent au travail ou sur leurs lieux d’études.
Le rail fait également partie des solutions. L’ouverture à la concurrence du ferroviaire permet d’en abaisser le coût et pour le même budget pour la collectivité d’élargir l’offre.
En Allemagne, où le rail est ouvert à la concurrence depuis une trentaine d’années, l’offre en périphérie est trois fois plus développée qu’en France. La part de la voiture y est inférieure de 10 points à celle de la France.
L’année 2024 a été marquée par les élections européennes. Quelles devraient être selon vous les priorités européennes en matière de mobilité ?
Aujourd’hui, le Green deal est important pour réussir notre transition écologique. En matière de mobilité, il est nécessaire de s’assurer de la faisabilité à long terme et des capacités de financements. Il ne faut pas perdre de vue que les gens ne se déplacent pas pour se déplacer. Plus de 50% des déplacements du quotidien, c’est le trajet domicile-travail. La conception de nos villes et de nos espaces de vie, jusqu’à présent centrés autour de la voiture, est un élément de la réponse. Ça prendra 30 ou 40 ans de changer de modèle urbain. Il est donc nécessaire de concevoir dès à présent des espaces où la voiture n’est plus la seule solution et où la proximité répond au besoin de mobilité.
En matière de normes et d’objectifs, il faut rester ambitieux tout en s’assurant qu’on a bien les solutions qui permettent de mettre en place les bonnes mesures. Il faut que les gens puissent continuer de se déplacer.
Il y a, selon moi, un enjeu à pouvoir s’appuyer sur de vraies mesures d’impact, proposer de véritables mesures d’accompagnement et ne pas perdre de vue que la transition écologique est une course de fond et pas une course de vitesse.
Enfin, je dirais qu’il y a un angle mort majeur, c’est celui de l’adaptation. Les impacts du changement climatique sont importants et supposeront des investissements significatifs pour continuer de vivre là où l’on vit et assurer la continuité des activités.
Comment appréhendez-vous précisément ce défi à relever en matière d’adaptation ?
Transdev est une entreprise mondiale, très présente à l’international. Nous sommes par exemple à Phoenix, aux Etats-Unis, où le mercure est monté récemment jusqu’à 48 °C pendant plusieurs semaines. Ceci nous montre la nature des enjeux auxquels nous devons faire face et les solutions à mettre en œuvre. La diversité de notre géographie et des situations que l’on connaît nous permet de réfléchir avec les collectivités locales à l’impact du changement climatique en partant de la projection territoire par territoire des conséquences du changement climatique.
Quelle est votre ambition derrière cette présence à l’international ?
Notre présence à l’international est liée à notre raison d’être : permettre à chacun de se déplacer chaque jour, grâce à des solutions sûres, efficaces et innovantes au service du bien commun. En France comme à l’international, notre objectif est d’accompagner les collectivités qui ont fait de la mobilité une priorité, ainsi que les territoires sur lesquels nous sommes vraiment capables de créer de la valeur grâce à des solutions de mobilité bénéfiques pour les collectivités et les utilisateurs. Notre présence internationale est aussi une source de références et d’expériences très variées et qui tout à fait unique, ce qui nous permet de proposer des solutions adaptées à tous types de territoires.
Quelle que soit la géographie, nous sommes avant tout un métier de femmes et d’hommes au service des femmes et des hommes. Transdev, c’est plus de 100 000 collaborateurs. Nous avons recruté l’an dernier 30 000 collaborateurs et nous travaillons beaucoup sur les ressources humaines, avec un enjeu de recrutement mais aussi de rétention, pour s’assurer que celles et ceux qui nous rejoignent restent avec nous. Cette dimension humaine est très importante.
Penser la mobilité du futur
Transdev a lancé en 2023 The Mobility Sphere, think tank européen conçu pour répondre aux défis et aux évolutions qui définiront la mobilité demain. Cette initiative fédère une communauté d’experts académiques et d’acteurs publics et privés, avec pour objectif d’élaborer des solutions innovantes en matière de mobilité. Deux Forums ont été organisés autour des enjeux de transition juste et de cohésion sociale, rassemblant des parties prenantes venus de toute l’Europe (à Amsterdam en 2023 et à Bruxelles en 2024). Des contributions d’experts alimentent cette initiative pour penser les différentes facettes de la mobilité.