La politique familiale, moteur de croissance et d’attractivité des territoires

La nomination de Michel Barnier au poste de Premier ministre et la formation d’un gouvernement minoritaire à la fin du mois de septembre 2024 sont venus clôturer la période d’incertitude politique qu’avait inaugurée la dissolution de l’Assemblée Nationale, au lendemain de la victoire du Rassemblement National aux élections européennes, quatre mois plus tôt.

Alors que le risque d’intensification des crises politique et économique demeure bien présent, le locataire de Matignon devra faire voter un budget de consensus et éviter les motions de censure.  S’agissant du fragile équilibre qu’est la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle, plusieurs défis sont à relever.

“Soutenir toutes les familles”

La fraternité, c’est de renouer avec une politique familiale, c’est de soutenir toutes les familles, en particulier les familles monoparentales.” Dans son discours de politique générale, Michel Barnier souligne la priorité qu’il souhaite voir accorder à l’aboutissement de la réflexion sur le besoin d’un meilleur soutien des familles monoparentales. Un dossier fondamental pour Agnès Canayer, sénatrice Les Républicains nommée ministre déléguée chargée de la Famille et de la Petite enfance auprès du seul ministre des Solidarités, de l’Autonomie et de l’Égalité entre les femmes et les hommes. La continuelle évolution des périmètres et des appellations ministérielles, si elle pose un problème de visibilité, renseigne sur les objectifs politiques. “Nous avons voulu un ministère de la famille, et non des familles, pour se placer du point de vue de l’enfant, qui a une famille, quelle que soit sa typologie” explique-t-on au cabinet d’Agnès Canayer. 

60% de familles monoparentales en Martinique

Selon l’INSEE, la France compte 2 millions de familles où les enfants résident avec un seul parent. Quelques éléments : 41 % de ces enfants vivent sous le seuil de pauvreté, 81 % des monoparents sont des mères, et depuis 1975, la proportion des familles monoparentales est passée de 9,4 % à 25 % en moyenne. Cette moyenne ne doit pas cacher des disparités territoriales importantes : ce chiffre avoisine les 34% en Seine-Saint-Denis, 35% à Paris, 58% en Guadeloupe et 60% en Martinique. Que la monoparentalité résulte davantage d’une séparation, comme en métropole, ou d’une naissance hors union, comme outre-mer, elle pose néanmoins des défis nouveaux et urgents.

Allongement du complément de libre choix du mode de garde

Le Projet de Loi de Finance de la Sécurité Sociale pour 2025 présenté le 10 octobre 2024 prévoit le financement par la branche famille de “l’entrée en vigueur d’une réforme du complément de libre choix du mode de garde qui permettra aux familles monoparentales d’en bénéficier jusqu’aux 12 ans de l’enfant, contre six ans actuellement.” Dans son rapport sur les familles monoparentales, le sénateur Renaissance Xavier Iacovelli recommande également la création d’une carte pour une meilleure prise en compte des spécificités des familles isolées, mais aussi d’envisager la garde alternée avant toute autre solution, ou encore de fixer un socle minimal aux pensions alimentaires. Alors que la précarité financière et les fragilités de santé physique et psychologique induites par la monoparentalité ont un impact important sur l’insertion des femmes dans le monde du travail, la réussite scolaire et l’insertion professionnelle des enfants, mieux soutenir ces familles est impératif pour l’économie française.

1000 premiers jours et Service Public de la Petite Enfance

Non sans lien, autre chantier de taille, le déploiement du Service Public de la Petite Enfance (SPPE) à horizon janvier 2025. La commission des 1000 premiers jours présidée par Boris Cyrulnik avait en son temps souligné l’importance du soutien au développement des jeunes enfants ainsi que le besoin d’une meilleure prise en compte des besoins des parents. C’est l’objectif affiché du SPPE qui, en donnant aux communes les nouvelles compétences d’autorités organisatrices de l’accueil du jeune enfant et de l’accompagnement des parents, a pour ambition tant d’accroître et de diversifier l’offre que de faciliter l’accès à un mode d’accueil, élément central du cercle vertueux de l’attractivité des territoires, pour qui attirer de jeunes ménages est souvent indispensable au maintien du nombre de classes dans les écoles. Des écoles qui, à leur tour, attireront de nouvelles familles. Une attente forte également, la garantie de la qualité de l’accueil et de la sécurité des enfants, déployée par la publication d’indicateurs de qualité prévue avant la fin de l’année.

Un secteur en crise et des départs en retraite

Dans la volonté de résoudre les problèmes de recrutement et de répondre aux revendications de revalorisation des métiers de la petite enfance, le comité de filière de la petite enfance présidé par Elisabeth Laithier vient d’être reconduit pour trois années supplémentaires. Comme de nombreux domaines, celui-ci doit faire face à la baisse du nombre de jeunes entrant sur le marché du travail, mais aussi aux prochains départs en retraite. « Depuis 2019, les assistants maternels sont beaucoup plus nombreux à quitter le métier que les années précédentes, sans que ces départs soient compensés par un volume d’entrées suffisant dans le métier », peut-on lire dans le rapport sectoriel 2023 de l’Observatoire de l’emploi à domicile, publié en juin. Une situation qui devrait s’aggraver avec des départs à la retraite des professionnels de l’accueil individuel : « plus d’un assistant maternel sur quatre pourrait partir à la retraite d’ici à 2030 », représentant 377 600 places d’accueil en moins. 

La crise de la santé mentale

En faisant de la santé mentale la grande cause nationale de l’année 2025, Michel Barnier touche également au quotidien des familles. Selon l’étude publiée par AXA Prévention le 9 octobre 2024, 36% des Français sont en état de détresse psychologique ; un chiffre qui atteint 56% chez les moins de 25 ans. Pour la spécialiste belge Isabelle Roskam, le burnout parental trouve son origine dans “l’individualisme occidental”, plus précisément dans la solitude et au surmenage des parents. Alors que le soin et l’éducation des enfants reposent plus souvent sur des adultes isolés et insuffisamment soutenus, davantage affectés par le stress professionnel et personnel, les professionnels de la pédopsychiatrie établissent un lien clair entre l’augmentation des gestes suicidaires chez les enfants et les adolescents et un contexte familial fragilisé, facteur pronostique majeur dans les problématiques suicidaires. Ce que confirme Hugues Lagrange, sociologue des addictions et des drogues, pour qui l’isolement des personnes est une donnée déterminant : “les Occidentaux sont dépressifs non parce que des charges plus lourdes reposent sur leurs épaules que dans les sociétés d’Asie et d’Afrique mais parce qu’ils sont moins protégés par le cocon familial ou communautaire.

Le non-accomplissement des projets de parentalité

Si la politique familiale semble aujourd’hui davantage envisagée telle un élément central du traitement de la pauvreté, de l’insertion professionnelle, de l’attractivité des territoires et donc de la cohésion sociale, rien ne présage de la capacité du gouvernement à faire voter, puis appliquer, son programme, ni de ses résultats. Alors que les Français désirent plus d’enfants qu’ils n’en ont vraiment, l’augmentation du pouvoir d’achat, l’accès aux modes de garde et la conciliation entre la vie personnelle et la vie professionnelle seront, dans les décennies à venir, les grandes pistes à suivre pour enrayer les effets néfastes pour la société et les entreprises d’un vieillissement trop rapide de la population. 

Puisque la dénatalité semble désormais être une tendance enracinée, le réarmement démographique et le contexte qui lui est nécessaire figureront sans aucun doute parmi les grands sujets de la campagne présidentielle, qu’elle ait lieu en 2027 ou avant. Et c’est heureux : pour une société cohésive, soutenir adéquatement les familles, moteurs d’une économie forte et de l’individuation des personnes, est indispensable.