Ludovic Roubaudi : « Je voulais décrire le processus d’instauration de la pensée unique »
Le Diplôme d’octobre, neuvième roman de Ludovic Roubaudi, est un conte politique puissant qui explore les mécanismes de la domination et la récupération idéologique par le totalitarisme. À travers l’histoire d’Ephias Sauertieg, intellectuel brillant mais coupé du réel, l’auteur plonge le lecteur dans une réflexion acerbe sur la manière dont la philosophie peut être détournée au service d’un pouvoir oppressif. Ludovic Roubaudi rend ici hommage à la littérature d’Europe centrale du XXe siècle, tout en offrant une satire mordante des technocraties modernes. Auteur de neuf romans, dont Les Baltringues (2002) et Le 18 (2004), il poursuit ici une œuvre marquée par une critique aiguë des dérives idéologiques et politiques. Rencontre.
Quelle est la genèse de ce projet littéraire ? Pourquoi vous être focalisé sur l’Europe centrale ?
Je voulais décrire le processus d’instauration d’une pensée unique, et j’ai choisi de situer l’action dans un empire inspiré de celui de l’Autriche Hongrie de la fin du 19em siècle, car j’y trouve de grandes similitudes avec l’Union Européenne d’aujourd’hui : un caravansérail de nationalités, de langues, de cultures, de religions que l’on tente d’unir sous la seule force d’un mot : dans le livre l’Empire, dans notre temps l’Europe.
J’ai fait ce choix pour m’affranchir des polémiques actuelles, et me concentrer sur le sujet de mon livre.
Enfin, et c’est un goût personnel, je trouve la langue du 19ème siècle plus subtile et plus complexe que celle de notre temps qui n’hésite pas à se simplifier pour, soi-disant, gagner en efficacité, mais ne réussit qu’à perdre sa beauté et sa précision.
Peut-on dresser un parallèle avec les régimes que nous connaissons aujourd’hui ?
Le héros du livre, Ephias Sauertieg, est un jeune philosophe qui affirme que la réalité est pensée. Il va être chargé par le gouvernement de faire de l’empire un indépassable politique. Nous allons, en le suivant dans ses aventures, voir quels moyens et quelles pressions le pouvoir va utiliser pour imposer cette idée dans l’esprit des citoyens, et ainsi assurer sa survie.
Ce que je veux démontrer est que nos valeurs ne sont pas le reflet d’un état naturel universel des choses, mais le résultat d’une idéologie. Prenons notre démocratie libérale : elle est devenue à nos esprits un indépassable politique, et nous sommes tellement nourris de cette idée que nous tombons des nues lorsque la Chine ou le Sud global par exemple, refusent de l’adopter…
En tant que conte politique, quel message vouliez-vous faire passer en filigrane ?
Pour imposer son idée d’empire, Ephias Sauertgieg, aidé par le pouvoir fait disparaitre d’un trait de plume des traditions, des terroirs et des langues au profit de l’unité impériale. Il ne peut pas comprendre, car il est un pur esprit, que ses décisions heurtent et blessent des millions de personnes. Intellectuellement « son » empire est une création merveilleuse et parfaite. Ce qu’il ne veut pas voir est la réalité des laissés pour compte qui n’arrivent pas à se retrouver dans l’empire parce que leur vie n’est pas « impériale », mais locale. Il est un peu à l’image de ces hauts fonctionnaires européens qui, enfermés dans leur tour d’ivoire et leurs tableurs Excel, savent parfaitement administrer les choses mais sont incapables de gouverner les hommes. Ils pensent et écrivent un monde merveilleux sans jamais s’interroger sur les hommes qui vont y vivre. Peu importe les particularismes régionaux et nationaux, seules comptent les normes.
Le Diplôme d’octobre a paru le 5 septembre 2024 aux éditions Rue Fromentin.