Yves Bernaert (1001fontaines) : « Le sujet de l’eau doit devenir une priorité pour les gouvernements et institutions dans le monde »

Depuis plus de 20 ans, 1001fontaines répond aux besoins des communautés vulnérables via des infrastructures de purification d’eau résilientes et des services abordables, en s’appuyant sur la livraison de bonbonnes réutilisables de 20 litres. Alliant impact et durabilité, l’ONG élabore et déploie ses solutions innovantes d’accès à l’eau potable en Asie et en Afrique (Cambodge, Vietnam, Bangladesh, Madagascar) : il s’agit de renforcer les capacités locales et de veiller à ce que ses partenaires locaux atteignent la viabilité financière. 1001fontaines s’est ainsi fixée l’objectif de doubler son impact en matière d’accès à l’eau potable dans le monde d’ici 2030. Avec plus d’1,4 million de bénéficiaires, son champ d’intervention devrait s’élargir à 5 pays d’ici à 2030. Rencontre avec le Président de son conseil d’administration, Yves Bernaert.

Pourquoi la moitié de la population mondiale n’a-t-elle toujours pas accès à l’eau potable en 2024, malgré les efforts internationaux et les avancées technologiques ?

Je pense que l’erreur est justement de se limiter à des réponses techniques. Beaucoup de projets d’accès à l’eau se concentrent sur la mise en place d’infrastructures. Des puits, des bornes fontaines, des réseaux d’adduction … Mais en réalité, ces systèmes sont rarement en capacité de garantir la qualité de l’eau jusqu’au point de consommation, et de fournir cette qualité de manière continue et pérenne. Trop souvent, la dimension de service est absente de la conception des projets, et les sujets de maintenance sont trop peu anticipés. Tout ceci fait que beaucoup d’infrastructures tombent en désuétude. La crise climatique vient aggraver cette situation, en impactant la qualité et la quantité de la ressource initialement disponible. Cela explique pourquoi plus de 4 milliards de personnes boivent toujours une eau impropre à la consommation.

En quoi l’accès à une eau saine est crucial pour la santé publique, et pourquoi cela doit-il devenir une priorité globale, en particulier dans les pays en difficulté ?

Je garde toujours à l’esprit la phrase de Louis Pasteur : “nous buvons 90% de nos maladies”. Elle est malheureusement vraie ! L’accès à une eau de boisson saine est fondamental pour la santé publique car il permet de prévenir des maladies hydriques telles que la diarrhée ou le choléra qui sont parmi les principales causes de mortalité dans les pays en développement. Cela est particulièrement vrai pour les enfants, qui sont les plus vulnérables. Aujourd’hui encore, la consommation d’eau insalubre tue plus d’un million de personnes chaque année. Ce sujet doit devenir une priorité pour les gouvernements et les institutions internationales.

Sur quoi repose votre modèle pour répondre aux besoins immédiats tout en s’inscrivant dans le long terme ?

Depuis notre création en 2004 avec le lancement d’un projet au Cambodge, nous avons développé une solution innovante pour pallier les défis liés à l’accès à l’eau potable en zones rurales. Nous avons imaginé un modèle permettant de produire sur place et de distribuer directement aux villageois des bonbonnes d’eau potable de 20 litres. Ce service, géré par des entrepreneurs locaux, est facturé environ 2 centimes le litre aux populations – un prix abordable et permettant d’assurer la pérennité en finançant les salaires des opérateurs et la maintenance des sites de production. Cette approche innovante a nécessité d’investir dans le renforcement des capacités locales. Nous avons aussi développé des partenariats avec les pouvoirs publics dès le départ, afin de positionner notre modèle comme une solution au service de la communauté.

À travers quelles innovations 1001fontaines a-t-elle su faire la différence dans ses projets, et quelles nouvelles technologies ou approches prometteuses pourraient changer la donne ?

L’agilité du modèle et son efficacité d’investissement en ont fait une approche facilement réplicable, à un coût bien inférieur à celui des grandes infrastructures d’adduction. Nous dépensons environ 10 euros par personne pour mettre en place les infrastructures et leur garantir un accès à vie à l’eau potable ! Le professionnalisme des solutions que nous mettons en œuvre est également un point différenciant, grâce à nos partenaires locaux qui supervisent en continu la qualité de l’eau et des services fournis. Ce mode opératoire assure la satisfaction des consommateurs, et donc l’adoption à long terme de nos solutions. Ainsi, l’impact social et la viabilité économique se conjuguent, même dans des contextes de grande vulnérabilité. Nos principes fondamentaux – qualité, accessibilité, pérennité – demeurent aujourd’hui une proposition de valeur unique, qui fait la différence dans la durée.

Quels sont, selon vous, les principaux succès de l’ONG depuis sa création ?

Notre succès majeur est le passage à l’échelle de notre modèle au Cambodge. Aujourd’hui, notre organisation partenaire Teuk Saat 1001 est devenue le premier fournisseur d’eau potable en zones rurales, avec 1,2 millions de consommateurs à travers le pays et un réseau de près de 340 Water Kiosks – nos usines de production et distribution d’eau potable. Depuis 2020, Teuk Saat 1001 est également en capacité d’autofinancer ses coûts d’exploitation, achevant la démonstration de la pérennité du modèle. Nous sommes très fiers d’avoir su répliquer ces services d’eau en bonbonnes à Madagascar, où 50 000 personnes bénéficient désormais d’un accès durable à l’eau potable dans la deuxième ville du pays, Tamatave. Dans ces deux pays, nous avons par ailleurs développé des programmes sociaux à destination des populations les plus vulnérables, notamment les enfants : grâce au programme Water in School, près de 400 000 enfants reçoivent quotidiennement une eau saine à l’école. Ce programme est financé à travers des dons et pour chaque 2 euros collectés on peut offrir un an d’eau potable à un enfant.

Qu’est-ce qui vous motive personnellement à poursuivre cette mission, et quel message souhaitez-vous transmettre aux décideurs et aux citoyens pour accélérer le mouvement ?

Ma motivation quotidienne est de créer un impact durable pour la santé d’un nombre toujours plus important de communautés. Nous avons l’ambition de doubler notre impact d’ici 2023 et devenir la solution de référence dans au moins 5 pays, en soutenant nos partenaires locaux vers la pérennité et l’impact à grande échelle. Cette phase de croissance est passionnante ! Nous venons par exemple de lancer un programme au Bangladesh en mars 2024, et nous entamons une phase d’exploration au Népal. Je sens personnellement que notre approche convainc de plus en plus d’organisations à travers le monde, et je souhaiterais rappeler un principe essentiel : l’accès à l’eau potable est l’affaire de tous. J’invite également tous les acteurs à nous rejoindre et soutenir notre action afin de contribuer à l’expansion de notre approche innovante et à fort impact.