Simon Laisney (Plateau Urbain) : « Nous portons un plaidoyer contre le gaspillage immobilier »

Et si la ville de demain se construisait en réinventant l’usage des espaces vacants ? Simon Laisney, fondateur et Président du Directoire de Plateau Urbain et également co-fondateur de Base Commune, œuvre à transformer ces lieux inoccupés en espaces de travail accessibles pour les acteurs de l’économie sociale et solidaire. En redonnant vie à ces bâtiments, il propose un urbanisme temporaire et innovant, au service de la transition écologique et sociale. À travers cet entretien, il partage sa vision de la ville durable et solidaire, où chaque espace devient un levier de créativité et de lien social.

Quel est votre regard sur l’entrepreneuriat social dans l’immobilier ?

En terme d’entrepreneuriat social, l’immobilier est aujourd’hui bien en retard par rapport aux autres secteurs économiques.

Heureusement, il existe un écosystème en plein développement, notamment avec des jeunes foncières solidaires telles que Base Commune (que j’ai co-fondé avec le Sens de la Ville) ou Bellevilles, mais aussi des acteurs plus anciens de la solidarité qui ont intégré les dimensions immobilières à leur démarche comme Habitat et Humanisme, ou encore Solifap. Néanmoins ces structures ne sont pas encore à l’échelle des enjeux du secteur.

Ces initiatives se positionnent en rupture avec les approches classiques et mettent l’accent sur l’impact social en réhabilitant -plus qu’en produisant- des espaces pour accueillir des projets à vocation solidaire.

Une autre catégorie d’acteurs, dont Plateau Urbain fait partie, utilise la vacance immobilière comme une ressource pour développer des programmes immobiliers inexplorés, en poussant beaucoup plus loin les curseurs de la solidarité et de l’expérimentation, dans des contextes où le prix du foncier n’est pas à supporter par les usagers : celle de l’occupation temporaire et/ou transitoire des bâtiments. Ces projets en rupture avec la fabrique traditionnelle de la ville sont de formidable source d’inspiration pour des programmes pérennes : de vrais laboratoires échelle 1.

Un dernier pôle émerge d’acteurs plus traditionnels, comme Redman ou Novaxia, qui s’intéressent progressivement à cette dimension sociale. Ces groupes, historiquement ancrés dans l’immobilier classique, commencent à intégrer des projets d’entrepreneuriat social, témoignant ainsi d’une prise de conscience croissante sur l’importance de conjuguer performance économique et utilité sociale : en somme définir l’immobilier de demain.

La gestion de l’espace sous un angle social et solidaire est au cœur de vos projets. Qu’est-ce que cela recouvre concrètement ?

Concrètement, notre action se traduit par la mise à disposition temporaire d’espaces vacants à des acteurs de l’Économie Sociale et Solidaire, souvent exclus du marché immobilier classique, alors même qu’ils représentent 14% des emplois privés, qu’ils forment l’un des secteurs économiques en plus forte croissance, et que leur action est nécessaire à la collectivité. Par exemple, en Île-de-France, nous réaffectons des bureaux temporairement inoccupés à des associations, des collectifs culturels et artistiques ou des entreprises sociales. Cela leur permet de mener leurs activités dans des conditions optimales, à des prix abordables, tout en redonnant vie à des quartiers souvent en transition.

Nous collaborons aussi avec des foncières solidaires comme Bellevilles ou Base Commune qui proposent des solutions pérennes en achetant des bâtiments pour les dédier durablement à l’ESS. Ces foncières assurent une gestion éthique et responsable de l’immobilier, en veillant à garantir des loyers accessibles pour des structures qui en ont besoin à long terme.

En parallèle, nous apportons également des réponses aux besoins urgents de logement. Certaines de nos initiatives accueillent de l’hébergement temporaire pour des personnes sans-abri, des jeunes ou des exilés.

Une autre de nos missions est d’effectuer un travail de plaidoyer contre le gaspillage immobilier en fédérant un certain nombre d’acteurs et s’en appuyant sur la récente association Surface+Utile qui s’est créée autour de cette nécessité de défendre une vision d’un immobilier plus inclusif et moins lucratif.

Cette démarche peut-elle répondre à la grande tension que traverse le marché immobilier en Île-de-France ?

Oui, sans aucun doute. Notre approche de réaffectation des espaces vacants, qu’il s’agisse de bureaux ou de logements, répond à la tension sur le marché immobilier en Île-de-France en apportant des solutions immédiates à la fois aux acteurs de l’ESS et à l’enjeu de la forte vacance de l’immobilier tertiaire. Face à la surproduction de bureaux qui laisse 5 millions de m² inoccupés, et à la difficulté d’accès aux locaux pour des structures sociales et associatives, nous proposons une réutilisation intelligente de ces espaces, créant ainsi un impact social certain.

Cependant, cette approche temporaire doit être complétée par des solutions plus structurelles. C’est ici que les foncières solidaires, les coopératives d’habitat et les OFS entrent en jeu. Ces modèles pérennes permettent de sécuriser des espaces pour l’ESS ou le logement abordable, en dehors des logiques de marché traditionnel. Les foncières comme Bellevilles et Base Commune garantissent à long terme des lieux adaptés aux besoins des associations et entreprises sociales, tandis que les coopératives d’habitat et les OFS offrent une alternative durable pour les logements, assurant leur accessibilité pour les générations futures. Il faut également s’appuyer et s’inspirer des premiers opérateurs de l’immobilier solidaires, à savoir les bailleurs sociaux, pour arriver à penser des solutions à long terme pour des locaux plus abordables dans nos villes.

La ressource est bien présente, elle est là sous nos yeux, souvent sous-utilisée. Aujourd’hui, nous disposons des outils, des partenaires et de l’innovation nécessaire pour transformer ces espaces vacants en opportunités concrètes. Il ne tient qu’à nous, en tant qu’entrepreneurs, de proposer des solutions audacieuses et durables, qui réconcilient utilité sociale et efficacité économique, pour repenser l’immobilier de demain.

Cet entretien a été réalisé dans le prolongement du classement Choiseul Ville de demain 2024, à retrouver en intégralité sur le site de Choiseul France.