Rouzbeh Badi Arez : « Prendre la mesure des changements au sein du marché immobilier »

Publié le 05 septembre 2024
Rouzbeh Badi Arez, Black Swan Real Estate Capital

Rouzbeh Badi Arez, à la tête de Black Swan Real Estate Capital, se distingue par une approche de l’investissement immobilier alliant durabilité, culture et responsabilité sociale. Sous sa direction, le gérant d’actif s’engage à respecter les contraintes environnementales à long terme et à promouvoir l’art dans les espaces urbains tout en soutenant l’économie locale. Lauréat du classement Choiseul Ville de demain 2024, il nous livre sa vision et ses perspectives du marché immobilier national, avec le souhait de dessiner les contours d’une ville où patrimoine et innovation pourraient coexister de manière équilibrée.

À vos yeux, quelles sont les forces et les faiblesses du marché immobilier français et comment celui-ci peut être en mesure de relever le défi environnemental ?

Le marché français est un marché incontournable au niveau européen. En effet, il représente, en volume d’investissement, le 3ème marché de la région et est considéré par les investisseurs comme une valeur refuge ( « core market »).  Le marché immobilier français dispose d’avantages structurels indéniables.

Nous disposons d’une économie et d’un environnement politique globalement stables et rassurants. C’est un pays majeur de l’économie mondiale. Les dernières réformes réalisées au niveau fiscal et au niveau du marché du travail ont rendu le pays encore plus attractif notamment face à des concurrents directs tels que la Grande Bretagne qui a été impacté, entre autres, par la politique du Brexit.

La forme même du territoire français est un atout, car c’est un pays qui non seulement est très vaste et propose des paysages différents avec des accès à la mer et à la montagne mais aussi la beauté même du territoire avec une architecture marquante dès le 19ème siècle. Cela rend forcément le pays attractif et améliore l’économie à travers l’industrie du tourisme.

Ensuite, nous bénéficions d’infrastructures qualitatives qui sont primordiales au niveau du marché immobilier. Que cela soit au niveau national avec des réseaux de transport efficients comme le TGV ou l’Eurostar ou au niveau régional comme le réseau ferré Transilien, la France bénéficie d’un cadre structurel solide qui permet de mettre en valeur différents typologies d’actifs immobiliers comme le logement, le bureau, la logistique, l’hôtellerie ou encore le commerce.

En partant des postulats ci-hauts, nous pouvons comprendre que le marché immobilier français reste une place forte au niveau mondial. En effet, la France est un marché dit liquide car il attire des investisseurs diversifiés. Il bénéficie du soutien de grands investisseurs institutionnels domestiques tels que la Caisse des Dépôts, La Française REIM, Primonial, Ardian ou encore BNP Paribas REIM mais aussi de la présence de nombreux acteurs internationaux tels que Blackstone, Blackrock, JP Morgan ou Goldman Sachs. La présence de tous ces acteurs rassure sur la capacité d’absorption et la liquidité de notre marché immobilier.

Par ailleurs, de grandes entreprises s’installent de plus en plus en France, que cela soit à travers l’implantation de nouveaux sièges sociaux (Bank of America, Barclays) mais aussi à travers l’installation de nouvelles marques ou de nouveaux concepts en commerces (NBA, Stüssy) ou en activités. Cela signifie que nous disposons d’une demande solide par rapport aux mètres carrés produits. On voit le même phénomène au niveau des logements avec un manque de logements structurelles assez importants et qui est une préoccupation nationale.

Concernant les faiblesses de notre marché, l’instabilité politique de ces derniers mois au niveau européen et français ont provoqué de l’incertitude au niveau des investisseurs. Ils ont une position attentiste pour savoir dans quelle direction va évoluer le pays.

En outre, le France a un problème lié à la centralisation. En effet, Paris reste une ville monde qui attire la majorité des investissements immobiliers. Même si on voit un réveil des régions depuis quelques années, on constate que cela est dû en partie par la mise en place d’infrastructures de transport (lignes TGV, avions) qui rendent ces villes ou ces régions proches de Paris. Ainsi, Paris tient un monopole assez important en termes d’immobilier en France. Comparativement à d’autres marchés comme l’Allemagne ou l’Angleterre où les investissements sont répartis plus équitablement avec des grandes villes comme Munich, Hambourg, Birmingham, Manchester, etc. qui attirent des investisseurs étrangers et locaux.

Enfin, nous avons de plus en plus de réglementations qui s’ajoutent dans le cadre d’opérations de réhabilitations et qui doivent être normalisées afin d’avoir une vision cohérente de ce qui est nécessaire de réaliser pour l’ensemble des acteurs au niveau de la construction. Cette clarté devra permettre d’obtenir des autorisations administratives plus rapidement et dans un cadre objectif qui permettra de simplifier la compréhension des procédures et les incertitudes liées à ces dernières.

L’ensemble de ces phénomènes a permis une prise de conscience globale et concrète de l’ensemble des acteurs de l’immobilier par rapport à leur devoir pour construire un avenir meilleur et une ville de demain qui fait écho aux inquiétudes des diverses générations.

Globalement, la France intègre bien le volet environnemental au niveau du marché immobilier. D’un côté, il y a des objectifs fixés avec les collectivités locales qui imposent certains critères lors de l’obtention des autorisations administratives et qui permettent d’obtenir des immeubles plus efficients. De l’autre côté, il y a aussi des objectifs implicites et incitatifs qui sont imposés par la « main invisible » du marché. Les banques imposent désormais des objectifs environnementaux pour effectuer des prêts à des conditions avantageuses et les investisseurs institutionnels exigent désormais des immeubles verts pour prendre en considération l’acquisition d’un immeuble.  Il y a un impact vert et environnemental au niveau des prix.

L’ensemble de ces phénomènes a permis une prise de conscience globale et concrète de l’ensemble des acteurs de l’immobilier par rapport à leur devoir pour construire un avenir meilleur et une ville de demain qui fait écho aux inquiétudes des diverses générations. Que cela soit au niveau politique, les entreprises de constructions, les banquiers, les gestionnaires d’actifs ou encore les investisseurs, la responsabilité sociétale et environnementale est désormais un prérequis lors de l’étude de chaque projet.

Quel est votre regard sur l’évolution de votre métier, quels sont vos objectifs ?

Le métier d’investisseur et de gestionnaire d’actifs reprend ses lettres de noblesse. En effet dans un contexte économique compliqué, il faut une gestion encore plus rigoureuse des actifs au quotidien. Dans les quinze dernières années, les acteurs de l’immobilier ont bénéficié d’un contexte très favorable de taux d’intérêt négatif et de financement important. Le marché n’a cessé de voir les valeurs augmenter, même pour des actifs dits secondaires. Aujourd’hui, le contexte économique est plus difficile avec des financements plus complexes auxquelles s‘ajoutent des exigences environnementales et sociétales.

Outre les exigences financières, nous, acteurs de l’immobilier, devons désormais travailler sur des immeubles existants, désuets pour la plupart et qui nécessitent des travaux d’amélioration importants. Ces projets doivent respecter des critères environnementaux pour rendre les immeubles de plus en plus efficients, malgré les contraintes liées à leurs architectures (haussmannien par exemple) ou leurs emplacements (proximité d’immeubles dans les centres historiques). De surcroît, ces projets doivent désormais répondre à des normes sociétales aussi. Cela implique des immeubles accessibles à toute la population, i.e. pour les personnes à mobilité réduite, mais aussi une diversité au sein des immeubles avec notamment des obligations de création de logements sociaux ou de commerces à caractère sociétales ou culturelles. Ces obligations doivent, bien entendu, s’inscrire dans le respect de l’histoire du patrimoine immobilier français et ne pas altérer les immeubles existants.

De fait, notre métier doit désormais prendre en compte les aspects financiers, environnementaux, sociétaux et historiques. Il faut avoir une vision très circulaire pour pouvoir gérer un immeuble.

Avec les pouvoirs publics, nous sommes désormais dans l’obligation de réinventer la ville de demain en essayant de créer des lieux de vie qui permettent de répondre aux enjeux du futur tout en respectant les contraintes financières de nos investisseurs.

Afin que cette démarche soit efficiente, il est nécessaire que les pouvoirs publics aident les entreprises dans ce sens à travers des incitations et non seulement des contraintes qui permettraient de conjuguer l’efficience économique aux enjeux du monde de demain.

Pour conclure, notre métier devient de plus le plus intéressant avec la conjugaison de facteurs macro et micro ainsi la prise en compte des évolutions sociétales en France ou à l’étranger. Il faut anticiper de plus en plus les besoins de l’ensemble des acteurs qui ont un lien avec l’immobilier (utilisateurs, banquiers, pouvoirs publics etc…).

Comment sortir des tensions du marché immobilier ?

Le marché immobilier est, aujourd’hui, dans une incertitude qui dure depuis un an avec la hausse des taux d’intérêts. La période d’arrêt correspondant à la COVID avait fait surgir des premières inquiétudes au niveau de tous les acteurs mais rapidement l’impact avait été contenu au niveau macro-économique. La hausse des taux a mis le marché immobilier dans un environnement nouveau avec une hausse très rapide des taux d’intérêts impactant fortement la valorisation des biens immobiliers. Il a fallu au moins un an pour voir les premiers ajustements des valeurs, ce qui a entrainé un blocage du marché des transactions. Les volumes d’investissement ont décru fortement.

Aujourd’hui, les valeurs commencent à s’ajuster, ce qui va permettre déjà à rendre le marché un peu plus liquide avec l’offre et la demande qui pourraient rapidement se rencontrer en termes de prix. Les banques sont toujours présentes, même si elles deviennent de plus en plus sélectives. Cependant elles accompagnent les différents acteurs afin de donner plus de sérénité au marché immobilier. Malgré tout, il devient urgent de normaliser l’ensemble des valeurs des biens immobiliers par rapport à la situation économique actuelle et que les valeurs s’ajustent pour refléter la réalité du marché. Cela provoquera certainement une hausse des volumes d’investissement et une concurrence saine qui permettra de sortir le marché des incertitudes actuelles.

Par ailleurs, le monde de l’immobilier français a besoin de stabilité politique et il devient nécessaire pour la France de prendre des décisions en lien avec le futur du pays pour éviter les incertitudes politiques et économiques qui risqueraient de faire de la France un pays incertain et de détourner les investissements vers d’autres horizons. Ainsi, il faut l’élection d’un gouvernement qui puisse prendre des décisions économiques comme un agent rationnel qui permettrait de rassurer et d’éviter le déclassement économique du pays.

Cet entretien a été réalisé dans le prolongement du classement Choiseul Ville de demain 2024, à retrouver en intégralité sur le site de Choiseul France.