Arrêtons « d’augmenter » les métiers, commençons à écrire leur futur

Le médecin augmenté. Le soignant augmenté. L’ingénieur augmenté. On ne compte plus le nombre des professions qui ont été « augmentées » depuis 20 mois et le lancement fracassant de ChatGPT. Cette « augmentation » est l’une des magies des larges modèles de langage (LLM), qui ont invariablement « augmenté » des métiers aussi divers que celui d’artistes plasticiens, d’opérateurs téléphoniques, de conducteurs de train ou de soudeurs… L’emploi d’un mot valise manifeste surtout notre embarras.

Les premiers déploiements de l’IA générative en entreprise montrent que l’impact réel des nouveaux modèles d’IA est toujours contextuel. Il dépend certes des secteurs d’activité et des métiers, mais il dépend surtout des dynamiques des entreprises. De leurs cultures et de leur capacité à mettre en place les fondations pour produire de la donnée avec leurs savoirs internes. Déployer un LLM impose presque toujours de reprendre le knowledge management de l’entreprise. L’enjeu est de réduire la masse de savoirs implicites qui font le succès au quotidien de l’entreprise, mais ne sont pas embarqués dans les modèles.

Gagner du temps

Les projets que mes équipes ont accompagnés ces deux dernières années nous ont convaincus que la valeur de ChatGPT est surtout dans le temps qu’il fait gagner. La plus grande force des LLM est leur capacité à accélérer la recherche au sein d’une base de données ou d’une base de connaissance particulièrement complexe. Les modèles proposent une assistance à la recherche et à la navigation dans des grands corpus de textes, d’articles ou de données, qu’il s’agisse de papiers scientifiques, de documents d’ingénierie ou de bases de documents financiers. Il s’agit ainsi pour chaque entreprise de créer son petit moteur de recherche portatif, chaque fois qu’un texte nous paraît trop copieux pour être lu…

Transformer les postes de travail

Dernière leçon clé, cet impact est toujours corrélé à la pyramide professionnelle : plus elle mobilise de jeunes collaborateurs, plus une ligne métier est susceptible de bénéficier de l’apport de l’IA. L’IA implique ainsi de repenser les modèles RH. Les travaux de l’économiste David Autor concluent sur le fait qu’un très grand nombre (80%) de métiers peuvent bénéficier de l’IA, mais que pour la très grande majorité d’entre eux les effets concernent un petit nombre de tâches seulement. L’enjeu clé du déploiement de l’IA est donc celui du re-design des métiers. Déployer un LLM implique de transformer les postes de travail. La rhétorique de « l’augmentation » ne nous aide pas à le préparer.