Pour Karine Garcini, directrice générale de Fujitsu France, « il est nécessaire de multiplier nos efforts pour transformer les entreprises au profit de l’égalité des sexes. »
Aujourd’hui, on dénombre plus de 500 réseaux professionnels féminins en France[1]. Souvent qualifiés de « sororités », ils ont plus que doublé depuis 2010[2] et se diversifient tout en étendant leur influence grâce à des événements, programmes de mentorat, et initiatives de développement professionnel à travers le monde. Destinés à soutenir les femmes dans leur évolution de carrière, ils jouent un rôle crucial pour pallier les inégalités persistantes, en parallèle des avancées législatives. Pourtant, à ce jour les femmes ne sont que peu représentées dans les hautes sphères professionnelles. Elles ne constituent en moyenne que 25% des comités exécutifs du CAC40, contre 37% de la population cadres[3]. Un examen attentif révèle que l’impact des sororités est parfois limité par leur focalisation sur l’ascension professionnelle individuelle. Pour véritablement transformer la société, elles doivent élargir leur vision et réimaginer leurs leviers d’action.
Revoir le rôle et l’organisation des réseaux féminins
Essentiellement pensés comme un levier de carrière (acquisition de compétences professionnelles et promotion individuelle), les réseaux féminins actuels auraient tout intérêt à s’ouvrir à d’autres enjeux, mettre en avant des valeurs telles que la solidarité et le partage, et s’impliquer dans un objectif d’impact sociétal plus large. Par ailleurs, bien que les sororités soient par essence des mouvements féminins, elles créent parfois des dynamiques d’exclusion involontaire, qu’il s’agisse des sujets abordés ou des profils participants. Promouvoir l’égalité des sexes sans évoquer certains obstacles dont les femmes sont inconsciemment responsables, comme le syndrome de la reine des abeilles, contribue à maintenir le plafond de verre. De plus, exclure les hommes dans un monde où l’inclusion est de mise peut freiner la promotion des femmes compétentes, voire générer un rejet réciproque.
Les initiatives mixtes, permettant aux hommes d’être également acteurs du changement, permettent de soutenir les efforts des sororités. L’inclusion d’alliés de tous genres favorise la compréhension mutuelle, une collaboration plus forte pour l’égalité des sexes et sa promotion dans l’espace public. Des réseaux mixtes comme le Cercle InterElles, qui a récemment renouvelé son identité visuelle en devenant InterL, permettent de créer des communautés féministes ouvertes à ceux qui partagent leurs principes, indépendamment de leur sexe.
Envisager la sororité au sein même des entreprises
Au-delà de l’ascension professionnelle individuelle, je suis persuadée que la culture d’entreprise a un rôle à jouer dans l’égalité homme-femme. Les organisations doivent développer des initiatives en interne pour promouvoir les politiques de diversité et d’inclusion et transformer leurs cultures. Je pense par exemple à la prévention des discriminations (ateliers systématiques lors des onboarding de collaborateurs) ou encore la conciliation des vies professionnelle et personnelle.
Les groupes de femmes pourraient aussi s’attacher à favoriser les échanges intergénérationnels et les interventions dans les écoles : les étudiantes et jeunes professionnelles peuvent bénéficier de l’expérience et des conseils de leurs aînées, tandis que les seniors recueillent les points de vue novateurs des plus jeunes. Les femmes issues de secteurs divers peuvent apporter des perspectives variées et enrichissantes.
Multiplier les approches favorisant le rôle des femmes dans l’entrepreneuriat
Au-delà des programmes de mentorat, des réseaux de femmes ou des conférences, d’autres initiatives devraient être étudiées et encouragées tels que le soutien à l’intrepreneuriat ou l’entrepreneuriat au féminin. C’est d’ailleurs ce que certaines entreprises ou organismes mettent à l’honneur, comme l’IE Club et ses Trophées de l’entrepreneuriat féminin pour mettre en avant les femmes entrepreneures dans toute leur diversité ; le Microsoft Women Role Model Award qui récompense les profils engagés pour l’égalité entre hommes et femmes dans la tech ; le Trophée Perle de Lait (groupe Yoplait), qui depuis 2017 soutient les entrepreneuses porteuses de projets novateurs et engagés ; les Margaret Awards qui récompensent les femmes entrepreneures et intrapreneures du numérique en Europe et en Afrique ; ou encore les Women in Tech Awards, événement international qui célèbre les réalisations des femmes dans le secteur technologique.
En se concentrant sur des initiatives plus globales en matière de mentorat, de développement des compétences, en acceptant l’engagement des hommes comme alliés et en favorisant la promotion de l’entrepreneuriat féminin, l’impact de la sororité pourrait se voir renforcé dans la société.
Cet enjeu est particulièrement prégnant dans le secteur technologique, alors même qu’il existe de nombreux réseaux féminins. Il est nécessaire de multiplier nos efforts pour transformer les entreprises au profit de l’égalité des sexes. Au-delà du simple « booster de carrière », la sororité professionnelle doit être polymorphe pour provoquer une évolution sociale effective.
[1] « 500 Réseaux de femmes pour booster sa carrière » – Emmanuelle Gagliardi – Eyrolles – 2018
[2] Eva Escandon, rapporteure de l’étude du Cese – délégation aux droits des femmes et à l’égalité – 2020
[3] Étude « Diversité et Inclusion au sein du CAC40 » – Observatoire Skema de la féminisation des entreprises – 2024