Pascal Noguera (Galiena Capital) : « Le « privé » doit prendre le relais de l’État pour aider les PME à poursuivre leur croissance »
Président de Galiena Capital, Pascal Noguera revient pour Choiseul Magazine sur les défis et les opportunités que représente la réindustrialisation de l’hexagone.
Une partie des entreprises que vous accompagnez possède une dimension industrielle. Si la France semble avoir mis un frein à l’hémorragie industrielle avec des créations nettes d’usines positives depuis quelques années, comment réussir à augmenter la part de l’industrie dans le PIB du pays, sachant qu’elle représente aujourd’hui moins de 10 % de ce PIB ?
Pascal Noguera – Actuellement, le frein à l’hémorragie est surtout levé par de fortes subventions. Ce n’est pas viable à moyen et long termes. La réindustrialisation de la France ne se fera pas par le retour d’usines de commodités (sauf enjeu de souveraineté nationale) ou de sous-traitance banalisée. Néanmoins, il existe des filières industrielles qui servent des modèles économiques de niche ou d’innovation. Ces activités sont viables sur le territoire français pour peu que le contenu de main d’œuvre directe soit faible rapporté à la valeur des produits correspondants, soit parce que les processus de transformation sont très automatisés, soit parce que la valeur ajoutée réside majoritairement dans un service complémentaire indissociable du produit physique proposé. Je pense notamment au modèle d’affaires de Clufix, l’une de nos participations, spécialiste dans les composants techniques d’assemblage mécanique.
Il conviendrait également de rendre plus visible, au niveau de l’offre, la fabrication française et de l’afficher comme garantie d’une qualité sociale et environnementale. Cela doit se traduire par un positionnement marketing spécifique : à titre d’exemple, Hacare, une autre de nos participations, spécialiste français du lit médicalisé, vient de concevoir une gamme éco-responsable de mobilier médico-technique de fabrication française qui lui ouvre des portes sur des marchés à l’international et devrait renforcer ses parts de marché auprès des grands donneurs d’ordre en France, face à des concurrents étrangers. La part de l’industrie dans le PIB se renforcera en appuyant sur les différents leviers mais surtout par le renforcement des organisations et le développement de nos industries à l’international.
Il y’a quelques mois, un économiste du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii) affirmait que tout « miser sur les seules industries vertes » ne suffira pas à réindustrialiser franchement la France. En tant qu’investisseur avec une inclinaison pour les PME industrielles, partagez-vous ce constat ?
La réflexion sur la composition de l’industrie française du futur ne devrait pas, me semble-t-il, opposer les industries dites « vertes », souvent définies comme les industries exerçant uniquement dans le domaine de l’environnement, et les autres filières dites « traditionnelles ». La variété de filières de l’industrie française est une richesse qu’il faut tenter de préserver. Laisser à l’écart, voire se débarrasser de certaines filières trop énergivores, revient à déplacer les fumées de nos usines loin de nos yeux, c’est plus rassurant mais in-fine le prix à payer est élevé. En effet, le coût complet est-il vraiment plus intéressant si nous y intégrons : l’augmentation du coût logistique, la perte de maitrise de la chaine d’approvisionnement, les moyens de contrôle à mettre en œuvre pour valider la qualité des matières premières utilisées par les sous-traitants et les produits fabriqués, la vérification des méthodes sociales de ces derniers et enfin le coût de la paupérisation de nos territoires ?
La décarbonation est un impératif général pour toutes les activités, mais la stigmatisation par la data « carbone » ne me semble pas être le bon focus. La décarbonation est une opportunité pour créer des facteurs de différenciation et donc des avantages compétitifs.
Réduction des délais et des coûts de transport, conviction ou encore raisons environnementales… Selon une étude Bpifrance Le Lab rendue publique en janvier 2022, les raisons qui poussent PME et ETI à relocaliser en France sont multiples. Quels sont, selon vous, les freins encore à lever pour accélérer ce mouvement ?
En accompagnant de nombreuses PME industrielles depuis plus de 25 ans, j’en identifie trois principaux. Avant tout, il faut une meilleure valorisation économique de l’offre auprès des grands donneurs d’ordre, centrales d’achat et clients finaux, pour permettre le paiement des charges sociales et des impôts, qui constituent une bonne partie des charges extra-financières qui surenchérissent les prix des offres en France, et peuvent réduire la performance économique des PME.
Le deuxième frein à la réindustrialisation est d’ordre « bureaucratique ». Implanter un outil de production ou agrandir un site existant est soumis à une réglementation très exigeante en France. C’est assurément une bonne chose pour la préservation de l’environnement du voisinage et plus globalement pour la défense de la biodiversité sur nos territoires, mais le coût administratif et la complexité du projet pris dans son ensemble de l’étude à la construction est devenu prohibitif pour des petites unités de production.
Le troisième frein reste l’accès aux compétences et plus largement aux ressources humaines. L’adéquation entre les filières de formation et les débouchés reste un problème dans le quotidien des PME industrielles françaises. Nos participations industrielles, souvent des entreprises à forte notoriété sur leurs territoires, comme SIB en Moselle ou encore Herdegen dans le Berry, nous remontent régulièrement les difficultés de recrutement de postes de production par manque de main d’œuvre disponible et appauvrissement des filières de formation professionnelles régionales.
La hausse des taux d’intérêt a entraîné des tensions manifestes dans le financement des entreprises. Cet enjeu est d’autant plus important pour les PME/ETI qu’elles sont attendues au tournant de la transition écologique et numérique. Comment percevez-vous les annonces d’Emmanuel Macron pour améliorer le fléchage de l’épargne privée vers le financement des PME/ETI ?
La France a largement aidé ses PME, avec le PGE d’abord, mis en place en pleine crise du Covid (dont les taux sont essentiellement fixes), puis avec d’autres programmes (TIPI) ou solutions de financements partiellement garantis par l’État (PPR, Prêt Atout notamment) diffusés par de nombreux réseaux après la crise du Covid. Aujourd’hui, il faut effectivement que le « privé » prenne le relais de l’État pour accompagner la phase d’investissement nécessaire aux PME pour poursuivre leur croissance, tout en se mettant à niveau sur les dimensions numérique et environnementale.
L’industrie du capital investissement dans le « non coté » était jusqu’à une période récente réservée à une catégorie d’investisseurs « avertis ». Sa démocratisation est en marche pour attirer des capitaux supplémentaires, même s’il conviendra de rester très attentif à la sélectivité dans les décisions d’investissement pour que cette classe d’actifs continue à afficher des rendements élevés et supérieurs aux autres catégories d’investissement sur la durée.
Le nouveau contexte macroéconomique, plus tendu et marqué par un moindre accès au financement, a-t-il réorienté vos décisions d’investissements et vous a-t-il rendu plus prudent ? Quelles sont les métriques qui, plus qu’avant, guident vos décisions d’investissement ?
Galiena Capital investit dans des PME françaises de 10 à 50 millions d’euros de chiffre d’affaires, principalement en tant qu’actionnaire majoritaire. Nos cibles sont des PME avec des savoir-faire reconnus et évoluant dans des filières avec des barrières à l’entrée. Ces entreprises bénéficient souvent de bonnes relations bancaires et d’un financement stable.
Concernant les PME industrielles françaises, Galiena Capital s’appuie avant tout sur des métriques de positionnement stratégique. Nous recherchons des sociétés disposant de savoir-faire reconnus (conception, outil et process de production) et évoluant dans des filières industrielles avec des barrières à l’entrée (certifications, réseau distribution, référencement clients, profondeur de gamme), assurant une bonne productivité et disposant d’une capacité d’extension et de modernisation si nécessaire pour capter les opportunités de croissance, notamment à l’international.
L’analyse des éléments financiers historiques et prospectifs des PME étudiées reste bien entendu importante. Les principaux indicateurs analysés sont la dynamique de ses activités, les marges dégagées, la capacité à maitriser ses charges d’exploitation et à générer de la trésorerie.
La bonne compréhension des relations contractuelles amont (fournisseurs / sous-traitants) et aval (distributeurs / clients) et la capacité à adapter son organisation aux fluctuations de marché, sont des métriques importantes à valider, surtout en période de turbulences économiques et géopolitiques.
L’analyse des opportunités d’investissement ne peut être complète sans une bonne compréhension des principaux indicateurs extra-financiers et notamment sociaux (par exemple : évolution des effectifs et turn-over) et d’appréhension de la part des PMEs analysées des enjeux environnementaux de leurs activités et du plan d’actions mis en place ou envisagé. Nous cherchons à comprendre le niveau de maturité des sociétés sur ces sujets, ainsi que leur perception des enjeux RSE, tant en termes de risques que d’opportunités, pour les accompagner au mieux dans la définition de feuilles de route pragmatiques et adaptées à leur taille/organisation.
En tant que dirigeant d’un fonds spécialisé dans la prise de participations et l’accompagnement des PME, vous êtes le témoin privilégié de leurs difficultés. En avril dernier, un « test PME » a été mis en place pour tenter de simplifier la vie des entreprises. Considérez-vous cette mesure suffisante, alors que les démarches administratives représentent environ 8 heures par semaine pour les dirigeants ?
Le « test PME » est trop récent pour évaluer son impact sur la simplification des démarches administratives. Nous sommes le témoin du renforcement constant des procédures de contrôle et de qualité des process de production par des organismes extérieurs de certification. Toutes les PMEs accompagnées par Galiena Capital ont dû renforcer leur organisation pour répondre aux exigences de contrôles et certifications nécessaires pour continuer à être référencées sur leurs marchés, parfois malheureusement au détriment des moyens à allouer au développement commercial de leurs activités.