La transition d’une entreprise en organisation apprenante est un vecteur de performance

Les mutations technologiques, les enjeux climatiques, la complexification normative ou les nouvelles contraintes RSE constituent autant de défis qui accélèrent et transforment les besoins en compétences des organisations. Dans ce contexte, transformer son entreprise en organisation apprenante apparaît comme un vecteur de performance : elle fidélise et engage les collaborateurs d’un côté ; de l’autre, elle retient, développe et intègre en continu de nouvelles pratiques et compétences en plaçant les collaborateurs au cœur de son projet. Pour résumer, l’organisation apprenante facilite l’adaptation de l’entreprise aux grandes transformations socio-économiques en cours.   

L’entreprise apprenante reste un catalyseur de fidélisation et d’engagement des collaborateurs  

Selon une étude publiée par Dell et l’Institut pour le futur, 94 % des employés déclarent rester plus longtemps dans une entreprise qui investit dans leur apprentissage continu. Mieux, les enquêtes de terrain menées ont conclu à des taux d’engagement supplémentaire de 30 % à 50 % des collaborateurs en poste dans des entreprises dotées d’une forte culture de l’apprentissage. Les aspects objectifs de la QVT (engagement et motivation, conciliation des temps…) y sont aussi perçus plus avantageux. Des données rassurantes dans un contexte de tensions sur le marché de l’emploi et, surtout, de volatilité toujours plus forte des collaborateurs, dont le rapport au travail évolue.  

La fidélisation est l’opposé vertueux du turn-over. Un antidote aux coûts cachés du renouvellement trop marqué des équipes et au désengagement qui, s’ils sont bien identifiés par les ressources humaines, le sont encore trop peu par les directions générales. Le coût d’un recrutement avorté est pourtant quantifiable, en additionnant le coût du recrutement, de l’onboarding et du poste non pourvu. Le cabinet Hays a ainsi chiffré, dans une fourchette comprise entre 45 000 et 100 000 euros de pertes directes et indirectes, le coût d’un recrutement avorté. L’autre grand coût caché est celui du désengagement des collaborateurs. La perte de motivation permanente d’un employé intégré de plus ou moins longue date dans l’entreprise est ainsi estimée à 12 500 euros par an, selon les conclusions d’une étude Apicii and Mozart Consulting menée en 2017.  

Mais la fidélisation des collaborateurs n’est finalement qu’un premier pas pour assurer la rétention et le développement des compétences et donc, à terme, contribuer à la performance de l’entreprise. Rappelons-nous la phrase fondatrice de l’un des théoriciens du modèle apprenant, le professeur de management Peter Senge : « (les entreprises qui survivent) sont sans cesse en train d’apprendre et se servent de ce qu’elles ont appris pour s’améliorer et être performantes ».  

La rétention et l’acquisition des compétences sont au cœur des transformations en cours 

Réussir « à apprendre et à s’améliorer » à l’échelle d’une organisation est d’autant plus important dans un contexte économique incertain et en mutation constante. L’un des exemples les plus parlants est sans doute l’intégration de l’intelligence artificielle dans certains processus-métiers, qui promet des gains de productivité quand elle est intégrée et, au contraire, un déficit de compétitivité quand elle ne l’est pas. 85 % des emplois de demain n’existent pas encore, selon l’Institut pour le futur. Derrière ce taux certes contesté se cache pourtant une réalité empiriquement vérifiable : nous traversons un contexte de transition vers une économie numérique avancée. Elle s’imposera aux acteurs du monde économique de manière progressive sous la contrainte de facteurs externes, comme l’innovation et le progrès technique. Ce basculement économique est aussi soumis à la pression du réchauffement climatique et à l’urgence sociale, qui transforment les métiers et conduisent à repenser les rôles dans les organisations. Comment les managers, souvent légitimés par leurs expériences comme les traditionnels « sachants », doivent-ils accepter de voir leurs compétences questionnées par des jeunes générations parfois plus acculturées aux grands bouleversements actuels et convenir que leur métier doit aussi évoluer ? 

La France fait-elle partie des économies les mieux adaptées pour y faire face ? Notre pays souffre d’un manque global de compétences. Cette carence a été identifiée, au niveau macro, par un rapport de l’OCDE publié en 2017. Un constat partagé par les chefs d’entreprise qui étaient, en juin 2022, 93 % à citer les pénuries de compétences comme leur principale préoccupation. Si l’on descend encore au niveau de la seule entreprise, ces évolutions structurelles imposent un double défi : les entreprises doivent autant que possible conserver les compétences acquises, mais aussi s’attacher à les développer de manière continue. 

Le modèle apprenant répond à un besoin de structurer les compétences « en partant d’en bas » 

Le modèle apprenant se propose de réaliser cette mutation en dépassant les écueils encore trop actuels de la gestion des compétences. Dans ce domaine, le format qui a longtemps prévalu est celui du guichet unique des métiers, structuré par les RH pour répondre à un besoin de formation interne ou externe. Il est aujourd’hui obsolète, car il part du postulat erroné que les collaborateurs partagent encore une aspiration à la mobilité verticale. Il est aussi rigide, faiblement agile et trop peu adapté aux mutations en cours. Le Bureau du Travail américain estimait ainsi, il y a cinq ans, que les étudiants d’aujourd’hui auront, à 38 ans, occupé entre 8 et 10 emplois et, parfois, autant de métiers différents. 

Les carrières sont en effet de plus en plus déstructurées et horizontales et les aspirations au changement sont ancrées chez les collaborateurs : il est désormais commun qu’un commercial souhaite devenir développeur. Trop souvent, ces profils entameront eux-mêmes un processus de formation, mêlant travail autodidacte et formation instituée par un organisme externe, pour réussir leur réorientation. C’est, à terme, une double perte pour l’entreprise, qui abandonne des compétences de commercial et de développeur. Les organisations sont désormais particulièrement attendues sur leur capacité à accompagner les collaborateurs dans des formes de mobilité professionnelle plus horizontale et inclusive, c’est-à-dire non déterminées par la formation professionnelle initiale ou l’expérience passée.   

Cette évolution des besoins en compétences transforme en profondeur les métiers dans une temporalité réduite. Depuis son lancement en janvier 2022, il a fallu quelques mois à ChatGPT pour être utilisé, dans de nombreux métiers, comme un outil pleinement opérationnel d’aide à la décision. Plus que jamais, une forte réactivité, fondée sur la capacité des équipes-métiers à se questionner elles-mêmes sur leurs compétences, est nécessaire. Qui de mieux qu’un comptable pour juger que l’intelligence artificielle pourra tout ou partie chambouler son métier au quotidien et l’invitera, demain, à en intégrer les réalités dans ses pratiques quotidiennes ? L’identification des compétences nécessaires ne doit donc plus suivre une approche descendante, mais au contraire une stratégie bottom-up, fondée sur les besoins identifiés par les métiers. Une organisation apprenante permet à un salarié d’affirmer clairement : « Je crois savoir quelles sont les compétences dont j’aurai besoin demain, à partir de mes connaissances sectorielles et métier, de l’avis de mes managers, de mes clients et partenaires ou des enseignements que je tire des difficultés quotidiennes de mon métier. Je sais que l’entreprise m’aidera à formaliser ces besoins en compétences et m’aidera à les acquérir par tout un panel d’outils opérationnels ». L’entreprise apprenante fidélise, retient les compétences et les développe de manière optimisée. Comment ? En en faisant une réalité vécue au quotidien et parfaitement adaptable aux réalités des métiers. 

L’organisation apprenante doit structurer l’apprentissage pour en faire une réalité vécue, consciente et opérationnelle 

C’est donc bien l’intégration continue des compétences que vise à maximiser l’entreprise apprenante. Un atout précieux dans un écosystème en constante évolution. Il est aujourd’hui acté, à partir des recherches menées, que l’apprentissage est structuré à partir du modèle 10/20/70. Il présuppose que l’on apprend à 10 % de manière instituée par la voie de formation classique, 20 % dans les rapports entre pairs et à 70 % de manière inconsciente pendant les temps de travail et au contact des difficultés quotidiennes. Les travaux de référence de l’économiste japonais Ikujiro Nonaka affirment que les interactions sociales informelles sont ainsi les plus riches en termes d’apprentissage. Elles se traduisent par le travail sur le terrain, les relations avec les clients, le manager et les collègues. 

L’organisation apprenante aspire précisément à structurer ces temps d’apprentissage continu, autour du principe « apprendre partout et tout le temps », notamment en optimisant les 70 % de temps d’apprentissage terrain. Rendre conscient l’apprentissage par des feed-back, des réflexions ou des temps d’auto-évaluation doit permettre de les ancrer au quotidien. Quant aux 20 % d’interactions avec les pairs, ils peuvent se traduire par des temps d’échange organisés par l’entreprise, des processus de binômage et mentorat ou encore des échanges interentreprises. Pour la formation traditionnelle — les 10 % restants —, elle doit aussi être pensée à travers toutes les potentialités qu’elle offre : un bon équilibre présentiel-distanciel, des contenus adaptés aux expériences vécues et aux réalités du terrain, des modalités pédagogiques variées et adaptées aux besoins et attentes des bénéficiaires, ainsi qu’une offre de services « complète » (modules pour tous, initiaux et continus). Avec l’idée fondamentale de penser un apprentissage au plus proche des réalités du terrain et dans une optique pleinement opérationnelle.  

L’entreprise apprenante n’est pas une fin ou ne doit pas être perçue comme un label pour renforcer son attractivité, à destination des talents extérieurs. Elle constitue au contraire un schème d’organisation pleinement opérationnel qui vise à combler le déficit de compétences en les faisant fructifier en interne par la formation et l’apprentissage des collaborateurs. Elle invite avant tout à une impulsion de la direction et une volonté de mobiliser un écosystème complet, la gestion des performances ne devant plus n’être qu’une « affaire de RH » mais le fruit d’une mobilisation portée par l’ensemble des équipes, des managers et de collaborateurs capables de l’orchestrer. Elle s’est désormais imposée comme une clé stratégique de performance, capable d’adapter l’entreprise aux grandes mutations en cours et à venir du marché de l’emploi, dont les compétences sont au cœur. Les compétences ne sont plus seulement un atout compétitif. Elles sont désormais un impératif de survie.