David Lisnard : « Le prochain président de la République devra débureaucratiser ce pays »

Publié le 18 mai 2024

Le maire de Cannes depuis 2014, réélu en 2020 avec un score hors normes (88 % !), propulsé à la tête de l’Association des maires de France en 2021, créateur d’un parti, Nouvelle Énergie, qui veut s’engager dans l’élection présidentielle de 2027, n’a décidément rien d’un « petit candidat ». L’ancien chiraquien, filloniste, sarkozyste entend incarner une droite de gouvernement résolument libérale, réindustrielle et souverainiste. Quelques recettes radicales à la clé.

Covid-19 et guerre en Ukraine nous poussent à adopter une stratégie d’accélération de la réindustrialisation et de la relocalisation. Mais quelle stratégie ?

Cette impérieuse nécessité est bien antérieure à la pandémie et à la guerre, mais le dire n’était pas entendu. L’enjeu est multiple : la création de richesse et de revenu moyen en France. L’aménagement est la vitalité du territoire, l’indépendance est la liberté de la France.

Cinq priorités me paraissent devoir être mises en œuvre.

  • Alléger la fiscalité et la réglementation Commencer par réduire les impôts de production qui pèsent directement sur les activités industrielles indépendamment de leur résultat net et représentaient 105 milliards d’euros en 2022, soit 4 % du PIB, loin devant les autres pays européens, à l’exception de l’Italie. Il faut s’attaquer d’abord à la C3S, l’impôt de production le plus pénalisant. Abaisser les charges patronales qui pesaient 265 milliards en 2018 et limitent notre capacité à garder et attirer les talents dans la compétition mondiale et abaisser l’impôt sur les sociétés, avec une partie variable laissée à l’appréciation des collectivités, sont également des nécessités.
    • Réaliser un audit complet des normes et réglementations qui pèsent sur l’industrie avec pour objectif de les simplifier, de les moderniser ou de les supprimer lorsque c’est possible, et accélérer les délais de mise en marché. Au passage, réduire les procédures d’autorisation d’implantation de sites industriels.
  • Soutenir l’innovation pour que les industries s’adaptent rapidement aux changements technologiques et aux évolutions des demandes du marché, qu’elles répondent aux défis du xxie siècle et attirent de nouveaux talents. Passer notamment par un système fiscal compétitif pour les entreprises qui investissent dans la R&D.
  • Renforcer les partenariats public-privé. Il faut encourager les collaborations entre les entreprises, les universités et les organismes de recherche pour favoriser l’évaluation scientifique et autoentrepreneuriale, le transfert technologique et l’innovation industrielle, partager les risques et les coûts associés à la R&D, tout en accélérant le transfert technologique du laboratoire vers le marché.
  • Et faciliter l’accès au financement pour stimuler l’investissement, augmenter la compétitivité, accélérer la réindustrialisation, réduire les barrières à l’entrée sur le marché et améliorer l’accès au capital en fournissant les ressources financières nécessaires. D’où aussi l’idée de mettre en œuvre un régime de retraite par capitalisation obligatoire pour un fonds d’investissements national.

Les ETI jouent un rôle clé dans notre développement économique et dans la dynamisation des territoires. Comment accélérer leur développement et aider les PME à devenir ETI ?

Notre pays souffre en effet d’un déficit important d’ETI comparativement aux principaux pays européens. L’une des premières mesures serait de simplifier les multiples types de contrats de travail et introduire plus de flexibilité. On pourrait ainsi imaginer un contrat modulable par lequel ajuster le temps de travail et les rémunérations en fonction de l’activité économique de l’entreprise. C’est ce qui existe en Allemagne.

La question du financement est aussi essentielle. Nos entreprises souffrent d’un manque de capitalisation évalué à environ 100 milliards d’euros. Des sources de financement diversifiées leur permettraient de bénéficier d’une plus grande stabilité financière qui les rendrait moins vulnérables aux fluctuations des marchés financiers ou aux changements de politique des prêteurs traditionnels.

Bien d’autres mesures contribueraient au développement des PME, à commencer par une réforme des effets de seuils pour assouplir ou étaler dans le temps les obligations et contraintes liées au nombre d’employés.

Vous appelez à une « révolution copernicienne de l’action publique ». Au fil des quinquennats, les programmes de modernisation et de simplification de l’action publique se suivent. Quelle est la nature de votre « révolution » ?

Il est temps de s’attaquer enfin à une réforme profonde de la matrice de l’État. C’est la condition sine qua non pour répondre à la crise de l’État qui se traduit en fait par une crise de la responsabilité car le règne de l’administration provient de l’absence de sens et de la capacité de décider et de rendre des comptes.

Un tel programme de performance public sera au vœu du projet que nous proposerons avec Nouvelle Énergie pour 2027. La priorité sera de simplifier radicalement notre édifice de normes et de démarches administratives qui entravent les initiatives et asphyxient la société. Dès son élection, le prochain président de la République devra organiser, sous son autorité directe et celle du Premier ministre, une cellule chargée de débureaucratiser ce pays.

La modernisation de la fonction publique passe notamment par la mise en place d’un « spoil system » pour que la démocratie prenne le dessus sur la technocratie. La seule façon de réduire la bureaucratie sclérosante, c’est de la remplacer par de la démocratie.

Puis une véritable décentralisation, responsabilisante, devra être mise en place, à rebours de la recentralisation constatée depuis quinze ans, avec probablement la suppression d’un échelon régional. Il s’agit de recentrer l’État sur ses missions régaliennes, de supprimer des actions inutiles et de confier une part des pouvoirs aux collectivités locales sur le principe d’une subsidiarité ascendante.

Pourtant, il faudra donner de la liberté et de la responsabilité d’action aux cadres du service public sans oublier de sortir pour beaucoup d’agents de l’obligation du statut rigide de la fonction publique. Le tout sans confier à l’administration le soin de se réformer elle-même. Cela a toujours échoué.

On observe une véritable « crise des vocations » chez les élus locaux. En votre qualité de président de l’Association des maires de France, l’AMF, quel regard portez-vous sur cette tendance. Comment l’inverser ?

Il est encore un peu tôt pour parler d’une crise des vocations, nous verrons en 2026. C’est toutefois une inquiétude que nous avons lorsqu’on observe le nombre de démissions de maires au rythme de quarante par mois, soit le double de la précédente décennie. Les élus sont devenus des cibles, les conditions matérielles ne sont pas à la hauteur du temps consacré à son mandat et les moyens d’action des maires sont de plus en plus limités avec des budgets restreints, enfermés dans des schémas directeurs et des zonages décidés par l’administration, empêchés par des procédures judiciaires venues souvent de l’État et d’associations militantes et cadenassées par une administration pointilleuse sur des normes plus nombreuses, illisibles et contradictoires. Pour inverser ces tendances, il y a d’abord le travail entamé par l’AMF avec les parlementaires, notamment sénateurs, et la ministre Faure sur les conditions d’exercices de mandat et leur protection qui est en cours et pour lequel nos propositions ont été largement reprises.

Et puis, il y a le discours et l’engagement que je porte pour redonner des moyens d’action aux élus locaux, avec une vraie décentralisation, c’est-à-dire en redonnant de la liberté et donc la responsabilité.

L’année 2024 sera marquée par les élections européennes. Comment appréhendez-vous l’avenir de l’Union européenne dans le contexte international actuel ?

Je soutiens sans équivoque la liste menée par François-Xavier Bellamy. Il a montré durant cinq ans qu’il était un député européen sérieux, assidu, travailleur et qui a su défendre avec vigueur et talent les intérêts de la France au Parlement européen.

Entre la liste de la majorité présidentielle qui défend l’idée oxymorique d’une souveraineté européenne et la liste du RN dont le discours sur l’Europe fluctue au gré des sondages et des interlocuteurs, nous avons besoin de constance et de cohérence pour aborder les enjeux de demain avec une Europe forte au service des nations qui la composent.

Nous devons revenir sur le fonctionnement interne de l’Union européenne qui devient moins efficace à mesure qu’elle devient plus technocratique. L’Europe doit cesser d’être une machine à créer des contraintes. Elle doit permettre au contraire d’atteindre une taille critique pour développer des projets industriels et scientifiques communs via la mise en place d’une « DARPA » européenne pour ne plus être la colonie numérique de la Chine et des États-Unis. Elle doit aussi protéger de manière efficace nos frontières extérieures, faire de la Politique agricole commune une arme économique et géopolitique, et cesser d’être le réceptacle de tous les délires écologistes, wokistes ou islamistes qui cherchent à peser sur les débats pour faire adopter leurs points de vue sous couvert d’ouverture et de tolérance.

Vous avez lancé votre parti, Nouvelle Énergie, pour structurer et donner de l’ampleur à votre action politique. Quels sont vos objectifs dans les mois et les années à venir, et où doit-on vous attendre en 2027 ?

Ma démarche est celle d’un citoyen engagé qui ne se résout pas au déclassement du pays et souhaite réunir les conditions d’un sursaut.

Pour cela, Nouvelle Énergie poursuit son implantation locale, se structure, se professionnalise et nous travaillons à l’élaboration d’un grand projet d’alternance qui soit à la fois fort et raisonnable pour sortir de quarante ans de social-étatisme, retrouver de la performance publique, de la prospérité économique et assurer l’unité de la nation.

On a payé pour savoir ce qu’il en était d’élire un président qui n’avait pas de projet. Comptez sur moi pour en avoir un qui soit cohérent et solide, sans chercher à plaire mais à convaincre, sans théâtre mais, avec sincérité. Quant à la question de l’incarnation, elle se posera en temps voulu.