L’année 2023 peut être considérée sous plusieurs aspects comme une période difficile pour la diplomatie française : persistance d’un manque de crédibilité auprès d’une partie de ses partenaires européens sur l’Ukraine, sentiment antifrançais grandissant en Afrique francophone, rôle marginal dans la résolution du conflit Israël-Hamas… Si ces différentes difficultés ont à chaque fois pour source de multiples facteurs, la communication diplomatique française, se concentrant dans cet article uniquement sur les prises de parole du Président de la République sur les sujets internationaux, a souvent été critiquée.
Il n’est pas ici tant question de remettre en cause les prises de position de la France que de s’interroger sur la manière dont elles sont véhiculées : y a-t-il un décalage entre les actions de la France et le discours officiel ? La perception voulue de notre discours correspond-elle à la perception des médias et de nos interlocuteurs étrangers ? Les prises de parole servent-elles toujours l’état final recherché ? Notre diplomatie se retrouve-t-elle dans une mise en récit cohérente et claire ?
Tout au long de ces derniers mois, des défauts récurrents sont apparus dans la communication présidentielle pouvant nuire à l’action de la diplomatie française. Évidemment, les critiques faites à l’encontre des positions françaises sont à prendre avec précaution : si elles peuvent être légitimes, des intérêts étrangers, pour ne citer que l’État russe par exemple, n’hésitent pas à les alimenter pour entretenir un climat hostile à l’encontre de la France dans les opinions publiques de certains pays. De plus, certains pays, tout en étant alignés avec la France, préfèrent la laisser porter seule la voix dissonante sur certains sujets, notamment dans le débat européen.
Néanmoins, plusieurs enseignements peuvent être tirés de l’année écoulée :
L’équilibrisme au risque de la perte de crédibilité
Après une année 2022 où les déclarations du Président étaient souvent considérées comme ambiguës par ses homologues européens, en particulier en Europe centrale et de l’Est, l’année 2023 fut marquée par une séquence forte lors du forum GlobSec[1] qui a permis à la France de rassurer ses partenaires[2]. Les déclarations du Président ont parfois eu tendance à s’interroger sur la position de la France[3], où le terme de puissance d’équilibre est perçu, y compris à Paris, comme une forme d’indépendance dans sa politique étrangère notamment vis-à-vis des Etats-Unis, et est souvent perçue comme une sorte de volonté d’équidistance entre les deux belligérants, alors que la France a dans la réalité clairement choisi son camp. Le risque réputationnel est de vouloir jouer sur deux tableaux : apparaître comme des leaders du soutien à l’Ukraine, notamment en occupant le leadership en Europe, et se positionner dans un rôle de médiateur, que pourrait éventuellement endosser la Turquie qui joue réellement la carte de cette neutralité. C’est une position intenable en termes d’image pour la France, qui ne peut ainsi gagner durablement la confiance de ses interlocuteurs d’un côté comme de l’autre.
Le coup de com plutôt que le respect du protocole
Après le séisme de Marrakech, de nombreux médias français se sont interrogés sur l’absence de réponse de la monarchie chérifienne, contribuant à l’agacement de nombreux Marocains. Alors que les officiels français ont tenté d’éteindre la polémique, notamment en rappelant que seul l’État marocain pouvait décider d’accepter l’aide sur son sol, le Président s’est risqué à une prise de parole sur Instagram pour s’adresser au peuple marocain. Au-delà du fond du message, cette adresse directe au peuple a été perçue au mieux comme une entorse au protocole, au pire comme une forme d’offense et d’ingérence dans les affaires marocaines[4]. Autre exemple, la conférence de presse à Kinshasa où le président a évoqué le fait que les autorités congolaises n’avaient pas été « capables de restaurer la souveraineté », débouchant sur un échange relativement musclé avec son homologue Félix Tshisekedi[5]. La scène ayant été relayée et commentée sur les réseaux sociaux, elle a nourri l’image d’une France paternaliste et méprisante vis-à-vis de l’Afrique.
Trop de visibilité au détriment de l’état final recherché
À la suite du putsch au Niger, la France apparait tout de suite en première ligne comme adversaire de la junte en place, avec les médias africains et étrangers les yeux tournés vers les déclarations de Paris. Alors que les États membres de la CEDEAO se concertent sur la meilleure marche à suivre, la France est très vite perçue comme manipulant dans l’ombre les dirigeants africains souhaitant une intervention militaire à travers ses déclarations publiques[6]. A l’inverse, Washington adopte une position plus modérée, paraissant surtout soucieux de trouver un arrangement avec le nouveau pouvoir de Niamey concernant leur base de drones d’Agadez. La diplomatie américaine est naturellement moins sous les critiques que la France compte tenu de son historique dans la région. Mais l’attitude de Paris à l’égard de la junte a conforté les militaires nigériens dans leur idée de jouer la carte du souverainisme antifrançais, relativement efficace dans la région sahélienne[7]. Que l’objectif ait été le départ de la junte ou simplement la conservation de notre dispositif militaire, l’activisme diplomatique français et la mise en scène d’un duel entre le Président français et le nouveau leader nigérien n’ont pu que desservir les buts recherchés.
Le manque de cohérence et de lisibilité
L’exemple le plus pertinent est celui du conflit Israël-Hamas. Si les équipes de l’Élysée défendent une position cohérente qui ne fait que s’adapter à l’évolution des événements, les premières prises de parole du président lors de son intervention télévisée le 12 octobre puis en Israël le 24 octobre sont perçues comme plutôt favorables au gouvernement israélien, qui a déjà commencé son offensive sur Gaza en réplique aux attaques terroristes du 7 octobre. La proposition de « coalition anti-Hamas » formulée lors du déplacement en Israël est la séquence de communication qui marquera les esprits, incitant à un tournant dans la communication française sur le conflit à la suite des réactions, voire l’absence de réactions. Le Président aura beau rééquilibrer la position française dans ses déclarations, avec son interview à la BBC le 10 novembre et une conférence de presse le 2 décembre, très dures vis-à-vis du gouvernement israélien, la France reste perçue dans les opinions arabes et du « Sud global » comme pro-israélienne, notamment à cause de l’interdiction des manifestations en faveur de la Palestine, à l’instar de la plupart des pays occidentaux (contrairement à quelques exceptions comme l’Espagne, l’Irlande ou la Belgique). Et cela en dépit de son engagement humanitaire, matérialisé notamment par l’organisation d’une conférence humanitaire pour Gaza, et de sa demande pour un cessez-le-feu. De l’extérieur, ce n’est pas le « en même temps » qui a dominé cette séquence, mais plutôt le « en deux temps »[8]. Un positionnement initial qui a surpris, notamment au Maghreb francophone, où l’on s’attendait à ce que la France ait une position plus proche de celle de l’Espagne. Le moment inaugural d’une séquence de communication reste donc décisif, dans la mesure où il est difficile de faire changer les perceptions ensuite, ou uniquement à son détriment. Fin 2023, la perception de la diplomatie française auprès de ses interlocuteurs arabes ou israélien ne lui permet d’avancer ni avec l’un ni avec l’autre.
Les critiques des positions diplomatiques d’un pays sont inévitables. Une bonne communication n’a pas pour objectif d’atteindre un consensus impossible, mais de véhiculer un message clair et cohérent, visant à rallier le plus grand nombre à sa position quand bien même l’unanimité ne serait pas possible. Néanmoins, les points évoqués précédemment suggèrent plusieurs recommandations :
Éviter la communication fragmentée
Même si les événements évoluent, il faut réussir à affirmer une ligne directrice au discours officiel sur les transformations du monde et les crises géopolitiques, en prenant en compte les risques liés à l’évolution dans le temps. Dans un monde fragmenté, il pourrait être tentant d’avoir une communication « à la carte », chose impossible avec l’instantanéité de l’information et la pression des réseaux sociaux. Au départ d’une séquence, il vaut mieux miser sur un petit dénominateur commun sans risquer de « faire un coup » trop tôt qui serait préjudiciable par la suite. Les revirements pourraient être interprétés comme un manque de vision stratégique ou une volonté de plaire à tous les interlocuteurs, nuisant dans tous les cas à la crédibilité de la parole officielle. Chaque nouveau message doit réussir à s’inscrire dans un récit plus vaste, sans perturber la cohérence et la crédibilité des positions diplomatiques françaises.
Favoriser la clarté au dépend de la complexité
La nature complexe des enjeux internationaux voudrait qu’un dirigeant puisse prendre le temps d’expliquer dans de longs formats la position diplomatique de son pays. Néanmoins, les contraintes de la communication actuelle ne permettent pas beaucoup de nuances dans l’interprétation. Si l’ambiguïté persiste, elle doit être volontaire et non subie. Si le discours peut être adapté en fonction des interlocuteurs, l’instantanéité de l’information oblige à la cohérence. Si les médias ont mal interprété la position française, c’est que le message n’est pas clair.
Jouer la carte du collectif dans un monde multipolaire
Pour éviter la polarisation Nord-Sud, la France a tout intérêt à utiliser le format des coalitions thématiques sur des séquences de communication. Cela permet à la fois de contrecarrer les accusations d’impérialisme occidental à l’échelle globale, ou d’initiative trop française dans le débat européen, ainsi que de conserver un rôle de leader compte tenu de son statut de puissance. Sur des sujets comme la réforme des institutions financières ou le nucléaire par exemple, la diplomatie française a gagné l’image d’un leader réellement global en 2023.
Maîtriser la bataille sémantique
Alors que des termes comme « valeurs » et « démocratie » ne mobilisent plus autant et que d’autres comme « souveraineté » et « stabilité » ont plus d’écho, le choix des mots est capital. Sans dévoyer le sens des messages, il faut adapter le discours aux logiciels de pensée des interlocuteurs, avec des termes et des concepts qui parlent plus qu’ils ne crispent. Le soutien apporté à l’Ukraine comme défense d’une démocratie contre une autocratie parle plus aux Occidentaux qu’au reste du monde, plus sensible au respect de la souveraineté et au rejet des invasions militaires. L’accusation de double standard, devenue une rengaine classique à l’égard de l’Occident, pourrait également être retournée à de nombreux pays. Dans les relations internationales, le double discours est loin d’être le monopole des puissances occidentales.
Il est toujours difficile d’évaluer l’efficacité de la communication internationale du Président, entre l’opposition simple au positionnement et un message mal véhiculé. De plus, l’évaluation se base sur un ensemble d’éléments pas toujours tangibles : articles de presse et éditoriaux, conversation de rues, déclarations officielles, échanges en off… Sans compter le décalage potentiel entre gouvernants et gouvernés. Néanmoins, même dans les régimes autoritaires, les opinions publiques comptent et le poids des émotions dans les relations internationales nous obligent à les prendre en compte dans la communication à l’international.
À ce titre, une enquête du European Council on Foreign Relations[9] publiée en octobre dernier est ainsi très instructive sur l’image que nous, Européens, renvoyons : en dehors de l’Europe, 4 personnes sur 10 pensent que l’UE s’effondrera au cours des vingt prochaines années, liant en partie son sort à l’issue de la guerre entre la Russie et l’Ukraine.
Cependant, le « soft power » de l’Occident (à savoir l’attrait d’un mode de vie et d’un ensemble de valeurs) reste significatif au niveau mondial. Dans le domaine des droits humains, une majorité de personnes en Inde (64 %), en Afrique du Sud (54 %) et en Turquie (51 %) ont déclaré qu’elles préféraient que leur pays soit plus proche des États-Unis et de leurs partenaires que de la Chine et de ses partenaires. Une attractivité qui n’a pas valeur d’alignement politique et en aucun cas d’allégeance, les auteurs rappelant que nous sommes désormais dans un monde « à la carte ». Un élément à prendre en compte appelant à éviter tout récit monolithique pétri de grands principes et de référence morales.
Au-delà d’aspects relevant plus de la stratégie de communication, deux principaux défis se posent donc pour l’élaboration du narratif français à l’international.
- Alors qu’une demande forte s’exprime chez nos partenaires étrangers pour une ligne diplomatique française plus claire, le concept de « puissance d’équilibre(s) », qui vise à exprimer l’indépendance de la France dans sa politique étrangère, ne convainc pas. Il donne le sentiment à nos alliés historiques que la France préfère faire cavalier seul, tandis que les pays du « Sud Global » ne voient pas en la France un pays capable de rééquilibrer seul le système international telle une grande puissance comme les Etats-Unis ou la Chine. L’activisme diplomatique de la France, sa volonté de réduire les tensions mondiales et sa capacité de mobilisation, notamment à l’échelle multilatérale, pourrait par exemple mieux se refléter dans le concept de « puissance d’initiatives et de solutions »[10] comme le suggère le chercheur Antoine Bondaz.
- La promotion de la démocratie par la France et les Etats occidentaux est souvent perçue comme une forme d’ingérence et un moyen de maintenir leur domination sur l’ordre international. Par conséquent, se pose la question de l’efficacité de la promotion de la démocratie dans les prises de parole officielles : l’idée n’étant pas de renier nos valeurs que de laisser d’autres acteurs plus aptes que l’Etat à les porter et les défendre sur le terrain, comme les organisations de la société civile. A l’inverse, un discours fort et volontaire sur le dialogue des civilisations, la fracture Nord-Sud et la réforme de l’ordre international ne pourrait qu’être bien reçu des opinions publiques dans le monde et désarmer une partie des critiques des leaders hostiles à la France.
Dans un contexte de guerre des perceptions, la question du récit est essentielle. L’enjeu ici n’est pas tant d’avoir raison que de savoir faire adhérer à son positionnement. Les passions et les mémoires qui s’entrechoquent avec les pays dit du Sud Global rendent d’autant plus difficiles l’efficacité d’un message universel que la France souhaite porter. Alors que le monde est en pleine restructuration, la France a une carte à jouer pour esquisser un nouvel ordre international, et éviter de passer pour un défenseur privilégié d’un temps révolu. Mais pour porter cette vision, il faudra également à la France un récit séduisant, dans un environnement hostile où les écueils communicationnels sont nombreux.
Sources
[1] Roland FREUDENSTEIN, “Macron’s Bratislava speech – a French Zeitenwende or charm offensive?”, The Kyiv Independent, 08/06/2023.
[2] Aurélie PUGNET, “Macron woos Europe’s East but stays vague on Ukraine security guarantees”, Euractiv, 31/05/2023.
[3] François CLEMENCEAU, « Emmanuel Macron sur l’Ukraine : Écraser la Russie, cela n’a jamais été la position de la France », le Journal du Dimanche, 18/02/2023
[4] Zineb IBNOUZAHIR, « Séisme : Emmanuel Macron enjambe le roi Mohammed VI et s’adresse directement aux Marocains », Le360, 13/09/2023
[5] Carmel NDEO, « Tshisekedi à Macron : Regardez nous autrement en nous respectant, la Françafrique n’existe plus », Politico.cd, 04/03/2023
[6] Le Monde avec AFP, « Niger : Emmanuel Macron défend le maintien de l’ambassadeur et se refuse à tout « paternalisme » ainsi qu’à toute « faiblesse » en Afrique », Le Monde Afrique, 28/08/2023.
[7] RFI, « Niger: après le discours de Macron, la junte dénonce une ingérence supplémentaire », RFI, 01/09/2023.
[8] Issa GORAIEB, « La French correction », L’Orient-Le Jour, 25/10/2023.
[9] « Vivre dans un monde à la carte : les leçons de l’opinion publique mondiale pour les décideurs politiques », Policy Brief, ECFR, 15/11/2023.
[10] Antoine BONDAZ, « Reconceptualiser la politique étrangère et de sécurité française en Indo-Pacifique », Fondation pour la Recherche Stratégique, 07/07/2023.