Rencontre avec Edouard Dumortier, cofondateur d’AlloVoisins.
Pouvez-vous nous raconter en quelques phrases l’histoire d’AlloVoisins ?
L’histoire d’AlloVoisins est partie d’une réflexion assez abstraite. En tant qu’enfant des années 70, j’ai grandi dans un contexte où la crise semblait être la norme, une atmosphère de « ça ira mieux demain » où rien ne changeait. Aujourd’hui, on nous dit encore que c’est la crise : crise économique, sociale, écologique ou encore géopolitique. De mon côté, je n’ai pas voulu céder à cette sinistrose et j’ai voulu montrer que l’on pouvoir continuer à consommer, satisfaire ses besoins de manière qualitative, sans se ruiner.
Ainsi est née AlloVoisins, d’abord conçue comme une plateforme d’entraide entre particuliers pour la location de matériel et de services, avant de devenir une véritable marketplace de prestations de services aux particuliers, rassemblant bientôt 5 millions de membres en France. Vous pouvez y trouver des demandes de particuliers pour du bricolage, du jardinage, du soutien scolaire ou encore de l’entretien automobile, et des particuliers ou professionnels qui proposent leurs services et répondent à ces demandes. C’est l’histoire d’un engagement profond envers une vision de la consommation plus durable, plus responsable et plus humaine.
A quel moment avez-vous su que vous souhaitiez devenir entrepreneur ?
Je pense que je l’ai toujours su. Je dis toujours que pour être entrepreneur, il ne faut ni être meilleur ni plus mauvais qu’un autre, mais qu’il faut être différent. Il faut vraiment avoir ça dans le sang. J’ai toujours eu cette envie d’entreprendre, de créer, de faire bouger les lignes et de changer les choses. Cette conviction s’est progressivement affirmée au fil des années, à mesure que j’occupais des postes de responsabilité pour le compte d’autres entreprises. Devenir entrepreneur était pour moi une évidence. C’est quelque chose que j’ai toujours su que je ferais.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans votre parcours d’entrepreneur ?
La résilience dont il faut faire preuve. On dit souvent qu’on ne voit que la partie émergée lorsque l’on regarde le succès d’une entreprise. Ces 10 % que l’on voit ne sont que le côté clinquant. On ne voit pas toutes les embûches et les obstacles auxquels ont été confrontés les entrepreneurs. J’ai été profondément marqué par cette capacité d’adaptation, cette capacité à rebondir face à l’adversité, tout en restant fidèle à mes convictions et à ma vision. L’entreprenariat est quelque chose d’exigeant, il faut faire preuve d’une abnégation sans faille, tout en restant à l’écoute des personnes qui vous entourent, de vos clients et de vos collaborateurs. Il n’y a que comme cela que vous trouverez la meilleure recette, celle qui vous emmènera loin.
Est-ce qu’il y a un moment où vous avez dû vous adapter ?
La pandémie de COVID-19 a été un moment charnière où nous avons dû faire preuve d’agilité et de créativité pour assurer la pérennité d’AlloVoisins, alors que notre activité s’arrêtait du jour au lendemain. A l’époque, nous étions un portail d’entraide. Les particuliers ne pouvaient plus offrir leurs services et ne pouvaient plus se déplacer chez les gens pour les aider. Cet épisode nous a obligés à repenser notre modèle. Finalement cela a été l’un des éléments déclencheurs pour le développement d’AlloVoisins. Par la suite, nous avons décidé d’aider les professionnels et les particuliers qui le souhaitaient à devenir à leur tour des entrepreneurs à travers la plateforme. La conjonction de tous ces éléments nous a fait penser que le prolongement naturel d’AlloVoisins était d’ouvrir la plateforme aux auto-entrepreneurs et d’encourager la création d’entreprises.
Au cours de ces douze années d’existence, avez-vous dû faire évoluer le modèle d’AlloVoisins ?
Nous n’avons jamais cessé de faire évoluer ce modèle. En fait, nous évoluons en permanence pour nous adapter aux besoins changeants de nos utilisateurs et du marché. Nous sommes constamment à l’écoute de nos utilisateurs, de leurs retours d’expérience et de leurs besoins, afin d’adapter notre offre et notre stratégie en conséquence. Cette expérience acquise au fil des années nous permet de nous forger des convictions sur ce que l’on a intérêt à faire et à ne pas faire.
AlloVoisins compte de nombreux entrepreneurs présents sur la plateforme, est-ce que vous vous reconnaissez en eux ?
Absolument. Il n’y a rien de plus solidaire qu’un entrepreneur avec un autre entrepreneur. Quelle que soit la taille de son entreprise, de son marché, de son business, quand vous créez votre structure, que vous vous mettez à votre compte, il y a forcément tout un tas de points communs qui nous rassemblent. Je me sens évidemment proche de tous ces gens-là et je suis d’autant plus content d’œuvrer pour leur permettre de développer leur activité.
Pensez-vous que la France est un pays où il est facile d’entreprendre ?
Je dirais que oui et non. Oui, car nous bénéficions d’un ensemble d’aides et de dispositifs favorables à l’entrepreneuriat. Par exemple, lorsque j’ai lancé AlloVoisins, j’ai pu bénéficier du chômage tout en créant mon entreprise, une opportunité précieuse offerte par l’État. L’Etat dit aux entrepreneurs “créez votre boîte et vous pouvez en même temps toucher le chômage”. C’est une aide extraordinaire qui permet de se lancer. Le système d’auto-entrepreneuriat est également une excellente initiative, offrant une voie accessible et peu contraignante pour se lancer. Je milite fortement pour qu’on attribue un numéro de SIRET à tous les jeunes dès l’âge de 18 ans, pour faire de la France une terre d’entrepreneuriat. C’est très peu d’administratif, il n’y a presque aucune barrière et cela permettrait aux jeunes de se lancer sans que ce ne soit trop engageant. Ce serait une formule extraordinaire.
Malheureusement, l’échec est mal perçu dans notre société. Alors que l’échec est essentiel dans le parcours entrepreneurial, il est souvent stigmatisé. Aujourd’hui, en cas d’échec, c’est difficile de se repositionner sur le marché du travail. La perception de l’échec est différente aux Etats-Unis puisque les entreprises essaient de recruter des personnes qui ont déjà échoué, en partant du principe qu’ils auront appris de leurs erreurs et acquis de l’expérience.
Et quelles seraient les mesures clés à mettre en place d’après vous pour engendrer davantage de vocations ?
Favoriser l’auto-entreprise dès le plus jeune âge. Je pense que l’attribution d’un numéro de SIRET à tous les jeunes dès l’âge de 18 ans pourrait réellement stimuler les vocations entrepreneuriales. Un jeune qui, par exemple, crée des sites internet ou fait du jardinage le week-end pourrait ainsi émettre des factures et soumettre ces prestations. Par ailleurs, il est crucial d’harmoniser les droits entre entrepreneurs et salariés, notamment en ce qui concerne le chômage après un échec entrepreneurial. C’est une profonde injustice et c’est un vrai frein pour les entrepreneurs. Aujourd’hui, un entrepreneur, bien qu’il ait cotisé, peut, du jour au lendemain, tout perdre sans avoir de parachute. Cela permettrait d’atténuer les risques associés à l’entrepreneuriat et d’encourager plus de personnes à se lancer.
Vous avez récemment annoncé l’entrée au capital d’AlloVoisins de l’ensemble de ses salariés. Dans quelle mesure était-il important pour vous d’associer les collaborateurs d’AlloVoisins à son développement ?
A l’origine, quand on crée sa boite on est seul. On se projette, mais avec soi-même. C’est une aventure très individuelle. Et progressivement on ouvre son aventure en accueillant ses premiers salariés. Il est rapidement apparu que le succès de l’entreprise dépendait avant tout d’un travail collectif. Ensuite, on se dit que « le succès va être collectif ou ne le sera pas”. Aujourd’hui, c’est mon constat : on fait énormément de croissance, c’est une boite qui marche très bien. Et si cela marche très bien, je me dis que ce n’est pas grâce à Edouard Dumortier mais grâce au collectif. Je trouve que cela fait sens d’associer tous les salariés au capital de l’entreprise pour matérialiser cette aventure collective.
AlloVoisins est très implanté à l’échelle locale, puisqu’il permet à des particuliers ou professionnels d’être mis en relation avec des personnes proches de chez eux : est-ce qu’il faudrait mettre plus l’accent sur l’économie locale en France ?
Oui, indéniablement. Nous sommes dans un pays beaucoup trop centralisé. C’est très paradoxal, car des géants comme Amazon n’ont jamais aussi bien marché. Le principe de ces marketplaces est basé sur ce que le client veut : je veux pouvoir commander ce que je veux, pour demain. C’est le paroxysme du consumérisme.
Et en même temps il y a une voix pour la consommation locale, il y a une prise de conscience de plus en plus forte. Mais vous ne ferez pas venir un réparateur, un professeur de maths ou un jardinier par Amazon, cela passe obligatoirement par le local. Il est indéniable que ces services de proximité ne peuvent être remplacés par des plateformes de vente en ligne. Il y a un retour aux sources, au “consommer local”. On se rend compte qu’on a besoin de mettre du sens et du lien social derrière notre consommation. Et cela ne peut passer que par le local.