L’issue de la présidentielle russe du 17 mars prochain ne fait aucun doute. Vladimir Poutine sera réélu pour un nouveau mandat de 6 ans avec un score probablement plus élevé que celui de 2018 (77,6% des suffrages exprimés). La mise hors-jeu de l’opposition réelle – au demeurant marginale au sein de la population russe –, le contrôle du champ médiatique et la répression accrue depuis le déclenchement de l’intervention militaire en Ukraine jouent pleinement. Ces facteurs ne suffisent cependant pas à expliquer la situation politique en Russie et la stabilité du régime.
En ce début 2024, l’économie du pays tient. Non seulement le mode de vie de la majorité écrasante de la population n’a pas été affecté par le déclenchement de « l’opération spéciale » mais l’effort de guerre profite dans des proportions inédites à la « Russie périphérique », jusqu’ici grande perdante de la transition postsoviétique et soutien traditionnel du pouvoir. Une majorité de Russes serait sans doute soulagée si Poutine mettait un terme à l’intervention en Ukraine, mais elle n’est pas prête à une paix de compromis et elle est sensible à la rhétorique de grande puissance du Kremlin.
La trajectoire de la Russie peut-elle malgré tout réserver des surprises ? A court terme, sans doute pas. La victoire militaire sur l’Ukraine – dont le Kremlin espère qu’elle sera aussi la défaite politique de l’Occident – prime tout. La mise en scène de la déclaration de candidature de Vladimir Poutine le 8 décembre en présence d’anciens combattants est à cet égard lourde de sens.
Trois questions pour 2026
Le jeu pourrait cependant se rouvrir en 2026, année des prochaines législatives qui ouvriront un nouveau cycle politique. Trois questions au moins se poseront.
La première est celle de l’évolution du régime et du contrat social. Le tournant conservateur amorcé dès 2012 lors du retour de Poutine au Kremlin et que le pouvoir a voulu graver dans le marbre lors de la réforme constitutionnelle de 2020 se poursuivra-t-il ou assistera-t-on à un début de dégel ? Le poids des « services », les intérêts de la bureaucratie – sans doute l’acteur qui pèse le plus lourd dans le système russe –, la place des anciens combattants d’Ukraine, mais aussi la fracture générationnelle – les moins de 45 ans n’ont pas vraiment connu l’URSS et sont moins sensibles aux discours du pouvoir sur les conséquences de la chute de l’Empire – seront déterminants.
La seconde est celle de la succession de Poutine. Car personne ou presque à Moscou ne croit en l’hypothèse d’un sixième mandat jusqu’en 2036. Nul ne dit que les noms qui circulent aujourd’hui (Sobianine, le maire de Moscou, ou Michoustine, le Premier ministre) seront toujours d’actualité dans 5 ans.
Enfin, la dernière inconnue concerne le positionnement stratégique de la Russie. Dans quelle mesure le tournant vers l’Est et le « Sud global » est-il irréversible ? La rupture avec l’Occident est-elle définitive ?
Si la volonté de souveraineté de la Russie est un invariant de sa politique étrangère et de sécurité, l’histoire de ces derniers siècles montre qu’elle sait faire preuve de pragmatisme au nom de ses intérêts nationaux. « L’après » dépendra donc autant de la Russie que de nous.
Cette tribune est à retrouver dans le deuxième numéro de Choiseul Magazine, disponible en kiosque depuis le 25 janvier 2024.