Après 10 ans de contraction des marchés financiers, les acteurs du secteur montrent une prudence parfois extrême, entraînant des complications pour le financement des entreprises. PDG d’ABC arbitrage, Dominique Ceolin détaille les différentes options qui s’offrent malgré tout aux chefs d’entreprise désireux de relancer ou recapitaliser leur société.
Votre société ABC arbitrage est présente sur le marché depuis les années 90 et fournit des solutions de gestion alternative sur les marchés financiers (arbitrage de liquidité, arbitrage statistique, arbitrage d’opérations sur capital, arbitrage de modèle). Que faites-vous concrètement ?
La définition théorique de l’arbitrage est la concrétisation d’un gain positif en captant des écarts de cotation considérés comme incohérents entre des actifs cotés sur les marchés financiers. Pour ce faire, l’arbitrage réalise des opérations simultanées d’achat et de vente qui vont avoir l’avantage d’annuler les risques de hausse ou de baisse des marchés.
Concrètement, l’arbitrage est un métier qui apporte de la liquidité aux marchés. Nous participons à la création de volumes accessibles sur les marchés financiers, aux bénéfices des investisseurs et des sociétés cotées.
L’arbitrage vise donc à ajouter de l’huile dans le moteur des marchés financiers. Nous ne sommes pas directement dans le financement ou dans l’investissement long-terme. En revanche, nous allons fluidifier les besoins des investisseurs, et donc indirectement les besoins de financement des sociétés.
Nous structurons ce métier sous forme de gestion. Ainsi nos clients, uniquement professionnels, nous confient des capitaux pour réaliser ces arbitrages, arbitrages qui vont leur apporter des rentabilités y compris dans des marchés baissiers. Par ailleurs, ABC arbitrage est cotée en bourse. Cette cotation va permettre à des particuliers – et donc à de plus petits investisseurs – d’avoir indirectement accès à notre savoir-faire.
De quelle manière injectez-vous cette « huile dans le moteur » ?
Pour offrir cette liquidité, nous nous plaçons dans les carnets d’ordres, sur les marchés du monde entier et sur différentes classes d’actifs telles que les actions, les matières premières, etc. Les carnets d’ordres sont la collecte informatisée de toutes les volontés d’achat et de vente sur un titre, et ce de manière anonyme. Nous pouvons ainsi voir les quantités et les prix demandés par les investisseurs, sans les connaître directement.
Notre vocation est de nous placer dans ces carnets à un niveau de prix et pour des quantités pour lesquelles nous sommes « sûrs » de pouvoir nous couvrir si nous sommes exécutés. « Se couvrir » signifie que nous allons prendre une position inverse à la position exécutée et ce de manière simultanée sur un autre actif. Par exemple, si nous achetons du Renault, nous allons immédiatement vendre du Peugeot si nous pensons que c’est une bonne couverture. Cela nous permet de ne pas prendre de risque directionnel, c’est-à-dire de ne pas être impactés par les hausses ou les baisses des marchés. Notre métier n’est donc pas de penser qu’une action va monter ou descendre, mais de faciliter la capacité de vente ou d’achat des investisseurs tout en neutralisant le risque directionnel pour nous.
Vous parlez d’apporter des liquidités, mais le marché français semble un peu sclérosé. Comment les PME et les ETI peuvent-elles avoir accès à des sources de financement ?
Les études sont formelles : nous observons une attrition sur les marchés financiers mondiaux depuis une dizaine d’années, sur les volumes traités et sur le nombre de sociétés cotées. Les statistiques montrent une baisse d’environ 20% entre 2013 et 2022. Il y a évidemment des disparités géographiques, la France est plus touchée que les États-Unis ou que le Royaume-Uni.
Cette baisse significative touche tous les types de sociétés, y compris les grandes capitalisations boursières – ce que l’on appelle les big cap – mais surtout les mid-small –, voir les micro cap qui sont en-dessous de 50 ou 100 millions d’euros. Ces entreprises-là sont particulièrement touchées, notamment en France depuis le 4e trimestre 2018. Fin 2018, nous avons assisté à un micro-krach boursier qui a généré du stress chez les investisseurs. Depuis cette époque, les mid-small ont du mal à retrouver des liquidités suffisantes pour exister.
Cette attrition de longue durée entraîne un cercle vicieux qui se met en place sur la liquidité. Les investisseurs qui achètent veulent pouvoir ressortir un jour. S’il y a moins de liquidités, ils doutent de leur capacité de revente et auront donc tendance à être moins acheteurs. Et s’ils sont moins acheteurs, les entreprises trouveront moins facilement des financements en bourse. Les investisseurs auront donc moins d’offres et vont se désintéresser de ce segment. Tant que nous ne sortirons pas de ce cercle vicieux, cela aura un effet dégénératif.
Est-ce pour cela que l’Autorité des marchés financiers (AMF) se montre très prudente concernant les modes de financement alternatifs à disposition des entreprises ?
À mes yeux, l’AMF n’est que le reflet de ce que nous sommes en tant que citoyens et de ce que nos gouvernements successifs décident pour la place de Paris. L’AMF est particulièrement précautionneuse et en alerte parce que les politiques ne veulent pas de problèmes sur les marchés financiers, ces derniers ayant du mal à accepter que, comme tout autre investissement, les marchés financiers constituent un risque et que chacun doit prendre ses responsabilités.
De plus, en France, les citoyens ont une culture ‘actions’ assez faible, en comparaison avec les États-Unis par exemple. Les investisseurs, bien logiquement, sont très contents que leurs actions prennent de la valeur. Mais certains refusent la responsabilité de leurs choix initiaux quand ils s’avèrent perdants. Je n’accablerais donc pas l’AMF qui n’est que le reflet de notre société. Même si, évidemment, certaines opérations alternatives peuvent poser des difficultés… et donc des questions légitimes.
Quels types d’opérations alternatives sont dans le radar de l’AMF ?
Les plus décriées sont sans doute les OCABSA (obligations convertibles en actions avec bons de souscription d’actions). Mais nous avons tendance à confondre cause et conséquence. Souvent, ces produits financiers sont utilisés de manière défensive car l’entreprise est en difficulté ; le problème a donc eu lieu en amont. L’entreprise rencontre des problèmes financiers graves sans trouver de solutions de financement traditionnelles : la seule solution qui lui reste peut alors être des produits de type OCABSA. Effectivement, l’utilisation de ces produits a un prix pour les actionnaires, souvent considéré par celui qui le paye comme excessif, car il va dégrader la valeur initiale de son investissement. Mais la problématique réelle existe bien en amont du recours à ces produits.
Si la communication et la transparence sur ces produits peuvent et doivent toujours être améliorées, le problème n’est pas directement le recours aux OCABSA qui sont souvent un des derniers remèdes possibles. Certes, la solution peut paraître parfois violente. Pour faire une comparaison médicale, quand vous soignez certaines maladies, les effets secondaires des médicaments sont parfois agressifs : vous perdez 20kg, vos cheveux tombent, etc. mais les médecins tentent tout de même de sauver le malade avec ce médicament. Sans ce médicament, il y a de fortes probabilités que le malade meurt.
Quelles sont les autres options de financement pour les entreprises en difficulté ?
Concernant les sociétés cotées, la technique la plus classique est d’émettre des actions à un prix qui reste encore attractif pour les actionnaires existants. Cela peut se faire par une augmentation de capital significative accessible à tous les actionnaires, ou par une augmentation de capital ciblée auprès d’investisseurs identifiés qui peuvent vous apporter de l’argent et/ou un partenariat, un appui stratégique ou encore une compétence. La société peut aussi opter pour des augmentations de capital au fil de l’eau, avec des petits financements successifs.
Autre option pour trouver des financements : la dette, qu’elle soit cotée ou non, ou même classiquement de la dette bancaire. Les brokers et les banques conseils peuvent aussi proposer des produits hybrides, entre actions et dette, pour vous aider dans vos projets de développements.
La bourse constitue d’ailleurs une excellente boîte à outils. Par exemple, si vous distribuez des dividendes, vous pouvez proposer que les dividendes soient payés en actions, ce qui signifie les réinvestir dans des actions de la société distributrice. Il est évident que plus la société est en bonne santé, plus ses choix sont larges et plus elle pourra mener ces opérations dans de très bonnes conditions. Mais quand la santé de la société se détériore, le champ des possibles diminue… et parfois il ne reste que les solutions les plus radicales comme les OCABSA.
En termes de capacités d’investissements, comment se situe la France – dont le gouvernement veut promouvoir l’innovation – par rapport à ses voisins européens ?
Ces dernières années, nous avons assisté dans le monde financier à un développement significatif du private equity – capital-investissement –, qui a été extrêmement favorisé par les taux « zéro ». Le private equity a pleinement bénéficié de cette période vraiment étonnante, où il était facile de lever des capitaux. En France, le développement du private equity a été favorisé par la BPI et par les volontés politiques autour de la French Tech. De ce point de vue-là, nous ne pouvons pas dire que la France soit en retard ou en décalage par rapport à ses voisins européens.
En revanche, la France ne tient pas la comparaison avec les États-Unis qui représentent un marché extrêmement développé en termes d’investissements et de valorisation. Il y a de nombreuses raisons à cela. Les Américains ont une culture ‘actions’ et une culture ‘investissements’ beaucoup plus fortes. Ils ont aussi des fonds de pension et des universités nord-américaines qui investissent sur les marchés cotés et aussi dans le private equity.
Naturellement, les sociétés – quand elles ont des projets ambitieux et donc des besoins significatifs comme les entreprises innovantes – vont donc chercher à se coter là où elles seront le mieux valorisées. Sur les marchés financiers, la réglementation française est globalement plus prudente et plus complexe que la réglementation américaine. Mais ce n’est pas qu’une question de réglementation. Si un pays est trois fois plus réglementé mais valorise cinq fois mieux, vous irez là où votre projet a la meilleure valorisation. Beaucoup de biotech sont parties outre-Atlantique parce qu’elles n’ont pas trouvé les investisseurs ou la valorisation souhaitée en France. C’est le cas de Moderna avec son célèbre vaccin à ARN messager. Moderna est partie en 2013 aux États-Unis et a été introduite sur le NASDAQ en 2018.
Crédit photo : Gaëtan Bernard