La politique climatique américaine : sécuriser, réindustrialiser, décarboner
La politique économique mise en œuvre par Joe Biden depuis son accession à la Maison Blanche articule des objectifs de sécurité nationale, de transition écologique, de réindustrialisation et de création d’emplois. En décloisonnant sur de nombreux thèmes politique intérieure et politique étrangère, elle jouit d’un large soutien dans l’opinion publique. Analyse par Jean-Paul Maréchal, Maître de conférences en science économique à l’université Paris-Saclay et directeur adjoint de l’IDEST (Institut du Droit de l’Espace et des Télécommunications – Université Paris-Saclay).
L’objet de ce décryptage est (1) d’analyser la dimension environnementale de l’Inflation Reduction Act (IRA) en détaillant les principales mesures adoptées et les conséquences écologiques et sociales qui en sont attendues, mais également (2) les défis que cette loi pose – notamment aux Européens – en ce qui concerne le mode de fonctionnement du commerce international qui va en résulter. Par ailleurs, l’IRA ne peut être comprise sans que soit également fait référence aux deux autres textes législatifs avec lesquels elle forme système : l’Infrastructure Investment and Job Act de novembre 2021 et le Chips and Science Act d’août 2022.
I. « Build Back Better »
I.1. Un programme Apollo « vert » ?
Les quatre années de la présidence Trump avaient largement masqué les potentialités protectionnistes, les enjeux de leadership industriel susceptibles d’opposer les États-Unis et leurs alliés dans la lutte contre le changement climatique. On déplorait la sortie de Washington de l’Accord de Paris en même temps qu’on se réjouissait du soutien à ce même accord de la part de nombreux États (Californie…), de grandes villes et d’acteurs du monde économique. Pour Donald Trump, « Make America Great Again » ne passait pas par des investissements dans la décarbonation de l’économie. Pour Bruxelles, seule la Chine était perçue comme un concurrent sérieux dans le domaine des technologies bas carbone.
Pourtant, depuis plus d’une décennie, les États-Unis réfléchissent à la mise en synergie entre innovation technologique et réindustrialisation. Ainsi, en janvier 2011, lors de son discours sur l’état de l’Union, Barack Obama revient sur la course à l’espace qui avait débuté, un demi-siècle plus tôt, par le traumatisme de la mise sur orbite d’un satellite par les Soviétiques et s’était néanmoins achevée en 1969 par la victoire américaine dans la course à la Lune. Il déclare : « C’est le moment Spoutnik pour notre génération. Il y a deux ans, poursuit-il, j’ai dit que nous avions besoin d’atteindre un niveau de recherche et de développement que nous n’avions pas vu depuis les grandes heures de la course à l’espace. […] Nous allons investir dans la recherche biomédicale, la technologie de l’information, et tout spécialement dans la technologie de l’énergie propre, un investissement qui renforcera notre sécurité, protégera notre planète et créera d’innombrables emplois. » Ce sera « le programme Apollo de notre époque [1]».
Une décennie plus tard, dans un contexte géopolitique et climatique bien plus préoccupant, Joe Biden reprend la même philosophie mais en consacrant bien plus de moyens à sa mise en œuvre. L’esprit qui anime l’administration démocrate, qui a succédé à celle de Donald Trump, est parfaitement résumé par Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale, le 16 septembre 2022 à l’occasion de sa participation au Global Emerging Technologies Summit. Lors de son intervention [2], il rappelle que « les progrès scientifiques et technologiques sont sur le point de définir le paysage géopolitique du XXIe siècle. Ils engendreront des “game-changers” dans les domaines de la santé et de la médecine, de la sécurité alimentaire et de l’énergie propre ». « Préserver notre avance dans les sciences et les technologies, précise-t-il, n’est pas un sujet de politique intérieure (domestic issue) ou de sécurité nationale, c’est les deux à la fois. Sous la direction du président Biden nous avons construit, au fondement de notre approche, une intégration étroite de la politique intérieure et de la politique étrangère avec une attention sur les sujets qui débordent de ces deux silos traditionnels ».
D’où une politique qui s’articule autour de quatre axes :
- investir dans la science et la technologie,
- développer, attirer et retenir les talents,
- protéger l’avance technologique américaine (empêcher le pillage technologique…),
- renforcer la coopération avec les alliés des États-Unis.
S’agissant du premier axe, une mention particulière est faite à propos des technologies vertes : « La transition globale vers l’énergie propre n’est pas seulement nécessaire pour la santé de notre planète, insiste Jake Sullivan, elle sera aussi une source majeure de croissance économique et de création d’emplois dans les années à venir. Et elle assurera à long terme l’indépendance énergétique et la sécurité énergétique des États-Unis ». Ce retour marqué à la politique industrielle a pris notamment la forme de trois lois.
L’ « Infrastructure Investment and Job Act » [3] signé par le président Biden le 15 novembre 2021 prévoit 1,2 trillion de dollars d’investissements dans les infrastructures, qu’il s’agisse des routes, des voies ferrées, des aéroports… ou des infrastructures « environnementales » (approvisionnement en eau, captage du carbone par l’agriculture…).
Le « Chips and Science Act »[4] du 9 août 2022, présenté par la Maison Blanche comme une loi destinée à « réduire les coûts, créer des emplois, renforcer les chaines de production et contrer la Chine » [5] va permettre de consacrer 280 milliards de dollars sur dix ans à renforcer le secteur des semi-conducteurs, de l’intelligence artificielle, de l’informatique quantique… et à créer des hubs de haute technologie [6].
Enfin, l’Inflation Reduction Act (IRA), auquel est consacré l’essentiel de cette note, a été signé par le président Biden le 16 août 2022. Il s’agit d’une version très allégée d’un plan initial baptisé « Build Back Better » (BBB) qui prévoyait de mobiliser 3,5 trillions de dollars dans les domaines du climat, de l’énergie, de la santé et des programmes sociaux. Bloqué par les Républicains et deux sénateurs démocrates, ce plan a resurgi fin juillet 2022 dans une version certes réduite mais néanmoins conséquente qui ne concerne (pratiquement) plus que la santé et le climat. S’agissant de la santé, l’IRA permet notamment à Medicare (l’assurance maladie publique pour les Américains de plus de 65 ans) de pouvoir négocier pour la première fois de son histoire le prix des médicaments (en fait seulement dix médicaments, pour commencer, à partir de 2026). Quant au climat, l’IRA prévoit d’octroyer 369 milliards de dollars de subventions (370 selon les documents de la Maison Blanche), de crédits d’impôts, d’accords et de garanties de prêts… sur dix ans aux ménages et aux entreprises afin d’inciter à l’achat de voitures électriques et à effectuer des investissements dans les technologies « vertes » telles que l’hydrogène, la captation et le stockage du carbone…
I.2. Une transition largement subventionnée
La poursuite des objectifs dans le domaine des renouvelables ne signifie pas pour autant un abandon de l’exploitation pétrolière comme l’a prouvé l’approbation par la Maison Blanche, le 13 mars 2023, d’un projet d’exploitation pétrolière en Alaska connu sous le nom de Willow. L’autorisation de forage accordée à ConocoPhillips, qui investit pour l’occasion 7 milliards de dollars, devrait conduire à la production de 180 000 barils par jour, soit 40% de la production actuelle de l’Alaska [7]. En fait, l’IRA a augmenté les royalties exigées des compagnies pétrolières exploitantes mais a interdit au Bureau of Land management de louer des terrains publics pour y installer des sites de production d’énergies renouvelables à moins d’en proposer également pour le développement de la production pétrolière et gazière!
Le développement des énergies renouvelables entraîne par ailleurs la nécessité d’arbitrer entre la protection de certains espaces et la construction d’infrastructures. De fait, une ferme solaire ou éolienne nécessite, par unité d’énergie produite, au moins dix fois plus d’espace qu’une centrale au gaz ou au charbon. C’est la raison pour laquelle l’administration Biden veut une réforme facilitant ce type d’installations [8]. Preuve de l’importance des enjeux, une étude réalisée par l’université de Princeton révèle que si les États-Unis devaient compter uniquement sur de l’énergie renouvelable en 2050, les fermes solaires occuperaient la superficie de la Virginie-Occidentale.
Le « nimbysme » [9], qui a été au fondement de maintes actions en faveur de la protection de l’environnement, se révèle donc incompatible avec un développement massif des énergies renouvelables. D’où cette conséquence assez inattendue : le Texas a, en 2022, trois fois plus de projets d’installations éoliennes, photovoltaïques et de stockage d’électricité en construction que la Californie qui a été, historiquement, à l’avant-garde de la lutte pour la protection de l’environnement. L’Energy Information Administration prévoit d’ailleurs que cette année la production d’énergie « propre » au Texas dépassera celle provenant des centrales au gaz. En effet, les ranchers ont découvert tout le profit qu’ils pouvaient tirer d’installations éoliennes et solaires. Après tout, le soleil qui inonde leurs terres et le vent qui les balaie ne sont pas moins américains que le pétrole et le gaz! Le « Lone Star State » compte bien attirer des projets de production d’hydrogène et de séquestration de carbone. L’un des coups de génie de l’administration Biden est d’avoir, grâce aux milliards de l’IRA, obtenu l’adhésion d’États républicains comme le Texas [10], l’Alabama, la Géorgie, la Caroline du Sud ou le Tennessee pas vraiment connus pour des positions avant-gardistes concernant la lutte contre le changement climatique [11].
La Maison Blanche compte sur l’effet multiplicateur des dépenses publiques. Ainsi, l’IRA devrait accroître les dépenses dans le domaine des renouvelables de 300 milliards de dollars à l’échéance de 2035 par rapport au niveau actuel pour atteindre 1,2 trillion [12]. Selon le Crédit Suisse, ce montant pourrait même atteindre 1,7 trillion [13].
Toutes les aides décidées par l’administration Biden en faveur du secteur industriel représentent environ 0,5% du PIB, un pourcentage plus élevé que ce qui est observé dans les autres grandes économies, à l’exception bien sûr de la Chine. Pour autant, comme le fait remarquer Brian Deese, président du National Economic Council entre 2021 et 2023, on est bien loin des 6% du PIB atteint par les aides fédérales au milieu du XXe siècle dans les domaines de l’électrification rurale, des autoroutes inter-cités et de la course à l’espace…[14] Afin de fixer les ordres de grandeurs, on rappellera que le coût du programme Apollo s’est élevé en dollars constants de 2008 à environ 175 milliards de dollars. Si une telle somme est certes impressionnante, elle est toutefois quatre fois moins élevée que celle mobilisée pour le sauvetage des banques en 2008 (700 milliards) ou pour la guerre du Vietnam (700 milliards) et treize fois inférieure aux sommes engagées durant les guerres d’Irak et d’Afghanistan (2 400 milliards) [15].
L’un des points notables du dispositif mis en place par l’actuelle administration réside dans le fait que les aides sont principalement allouées à des entreprises privées, qu’elles couvrent de nombreux domaines allant de technologies naissantes ou relativement nouvelles (IA…) à des technologies matures (panneaux solaires…).
De nombreux États vont suivre la même logique. Ainsi, le Michigan, échaudé par la décision prise par Ford de construire de nouvelles usines dans le Kentucky et le Tennessee, réserve désormais des terrains pour permettre aux industriels intéressés de construire des usines aussi rapidement que possible. De son côté, la Géorgie a prévu 3 milliards de dollars d’aides à deux firmes automobiles qui construisent des usines destinées à la fabrication de voitures électriques. Les projets d’investissements des constructeurs automobiles pour 2021-2022 s’élevaient à 68 milliards de dollars, un niveau jamais atteint en plusieurs décennies.
C’est la même chose dans le solaire. First Solar va accroitre sa production dans l’Ohio et construire une usine en Alabama. HanwhaQcells va multiplier par 5 sa production en Géorgie. On observe la même tendance dans le domaine des semi-conducteurs. Ainsi, TSMC construit une nouvelle usine en Arizona [16].
Par parenthèse, le soutient de l’administration Biden aux banques régionales (plus de 4 000 et la plupart non cotées) sous forme de garantie des dépôts s’explique aussi – même si elle ne s’y réduit pas – par le fait que ces dernières constituent des relais pour l’octroi de crédits et d’aides fédérales [17].
I.3. Les effets environnementaux et sociaux attendus
Selon certaines estimations, l’IRA devrait permettre aux États-Unis de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) de 33 à 44% d’ici 2030 par rapport à leur niveau de 2005 contre 35% dans un scénario « business as usual ». Pourcentage très significatif mais encore en dessous de la promesse du président Biden d’une réduction de 50% [18]. Les autorités américaines sont plus optimistes et indiquent que les émissions américaines pourraient avoir diminué de 60% d’ici 2030 par rapport à leur niveau de 2005 [19].
S’agissant de l’effet sur l’emploi, l’administration Biden fait le pari que la politique industrielle mise en œuvre mettra un terme à l’érosion du nombre de « cols bleus ». C’est ce qu’affirme John Podesta, conseiller principale du président des États-Unis pour l’innovation et la mise en œuvre de l’énergie propre : « L’Inflation Reduction Act constitue un engagement historique pour construire une nouvelle économie à énergie propre alimentée par des innovateurs américains, des travailleurs américains et des industriels américains. Il en résultera des création d’emplois bien payés ainsi qu’une diminution de la pollution qui alimente la crise climatique et produit de l’injustice environnementale [20]». Ainsi, l’IRA « nécessite des apprentis pour réaliser au moins 15% du travail sur les sites de construction subventionnés d’ici 2024 [21] ». Il convient toutefois de noter que la création d’emplois aux États-Unis était repartie à la hausse avant l’élection de Joe Biden en raison notamment de la reprise consécutive à la sortie du Covid. D’autres experts soulignent que les emplois créés dans les secteurs de l’hydrogène ou de la voiture électrique ne feront que remplacer les emplois perdus dans les secteurs du pétrole et de la voiture thermique [22].
Selon la Secrétaire au Trésor, Janet Yellen, « l’Inflation Reduction Act va favoriser la diminution du coût de l’énergie propre, ce qui aura des retombées positives dans le monde entier [23]». La Secrétaire au Trésor a forgé, pour désigner la politique économique de Joe Biden, l’expression d’ « économie de l’offre moderne » (modern supply-side economics). Cette approche « met l’accent sur les effets bénéfiques de l’investissement public dans la formation, les services sociaux, l’énergie propre et la fabrication de certains produits. Cet agenda marie intelligemment l’objectif de secourir l’industrie avec d’autres objectifs parmi lesquels la réduction des émissions de GES américaines, la limitation de sa dépendance aux importations de biens stratégiques et la consolidation de son avance technologique sur la Chine [24]».
Les auteurs d’un rapport publié par Crédit Suisse en 2022, affirment que grâce aux subventions prévues par l’IRA, le coût des panneaux solaires subventionnés pourrait être de 80 à 60% inférieur à ceux qui ne le sont pas tandis que le prix des éoliennes pourrait baisser de plus de 50%. En conséquence, les panneaux solaires fabriqués aux États-Unis pourraient satisfaire 90% de la demande intérieure américaine d’ici 2023 [25].
« Notre capacité manufacturière s’est érodée de façon très substantielle souligne Janet Yellen. En conséquence ça ne concerne pas que la croissance de la productivité à long terme, ça concerne aussi la sécurité nationale [26] ».
Le système mis en place par l’administration Biden repose uniquement sur des aides et ne comporte pas de contraintes (marché de quotas carbone…). Que des carottes, donc, et pas de bâtons. Cela ne risque-t-il pas de causer un préjudice à l’Union Européenne ?
II. « You should do the same thing » [27]
II.1. Un protectionnisme de fait
En fait, certaines mesures adoptées via l’IRA contreviennent aux règles élémentaires de l’OMC et notamment à son premier principe dit de « non-discrimination » selon lequel « un pays ne doit pas faire de discrimination entre ses partenaires commerciaux; il ne doit pas non plus faire de discrimination entre ses propres produits, services et ressortissants et ceux des autres pays [28] ».
Or, ce principe est clairement violé par exemple dans le cas des subventions accordées pour l’achat d’une voiture « propre ». En effet, la Maison Blanche a édité un document listant, domaine par domaine, les conditions pour bénéficier des aides prévues. Le cas de l’automobile est particulièrement éclairant.
Ainsi, le crédit d’impôt pour l’achat d’un véhicule propre peut atteindre 7 500 dollars. Ce dispositif est tout d’abord assorti d’une condition de revenus. En effet, seuls peuvent en bénéficier les ménages disposant d’un revenu annuel brut inférieur à 300 000 dollars pour un couple, 225 000 dollars pour un chef de famille (head of household) (une personne seule avec un ou plusieurs enfants à charge) et 150 000 dollars pour un célibataire. Une première moitié de ces 7 500 dollars, soit 3 750 dollars sont accordés aux acheteurs de véhicules dépassant « un pourcentage de minéraux critiques [de terres rares] extraits ou transformés aux États-Unis ou dans un pays avec lequel les États-Unis ont un accord de libre-échange ou qui ont été recyclés en Amérique du Nord ». L’octroi des 3 750 dollars supplémentaires est conditionné, d’une part, au fait « qu’un pourcentage des composants de la batterie soit fabriqué ou assemblé en Amérique du Nord » et, d’autre part, à ce que l’assemblage final soit réalisé en Amérique du Nord et que le constructeur respecte des suggestions de prix (MSRP pour Manufacturer’s Suggested Retail Price) de 55 000 dollars pour les voitures et 80 000 dollars pour les SUV et les pickups. Enfin, le document précise qu’à partir de 2024 aucun véhicule ne pourra bénéficier de l’aide à l’achat si sa batterie contient des composants fabriqués ou assemblés dans une « foreign entity of concern », expression qui désigne des pays (Chine, Russie, Iran, Corée du Nord…), des firmes ou des individus qui sont ciblés, pour des raisons de sécurité nationale, par le Bureau of Industry and Security (qui est une agence du Département du commerce). À partir de 2025, cette interdiction portera également sur les terres rares extraites, transformées ou recyclés par de telles entités [29].
De telles dispositions, jointes à celles du Chips and Science Act, ne sont pas sans poser de problèmes à certains alliés, notamment asiatiques, des États-Unis. De fait, la Chine représente plus d’un quart de la demande annuelle mondiale de semi-conducteurs. Environ 60% de ceux fabriqués à Taïwan y sont d’ailleurs vendus. Le Chips and Science Act prévoyant, dans son enveloppe globale de 280 milliards de dollars, 52 milliards pour la fabrication des semi-conducteurs, des entreprises comme TSMC ou Samsung Electronics profitent de ces aides pour installer des capacités de production aux États-Unis ou au Japon [30]. C’est ce que l’administration américaine nomme le « friend shoring », expression sur laquelle nous reviendrons. Afin de fixer les idées, en 2019, la part des pays dans l’industrie des semi-conducteurs était de 38% pour les États-Unis, de 16% pour la Corée du Sud, de 14% pour le Japon, de 9% pour la Chine, de 9% pour Taïwan, de 10% pour l’Europe et de 4% pour le reste du monde. Quant à la consommation de microprocesseurs, elle se répartissait, toujours en 2019, de la façon suivante : États-Unis 25%, Chine 24%, Europe 20%, Japon 6%, Corée du Sud 6%, Taïwan 1% et reste du monde 22%. Les six premiers fabricants de micro-processeurs étaient en 2021 : Samsung Electronics (Corée du Sud), Intel (États-Unis), TSMC (Taïwan), SK Hynix (Corée du Sud), Micron Technology (États-Unis) et Qualcomm (États-Unis) [31].
Après la satisfaction engendrée par l’élection de Joe Biden, les Européens commencent à redouter certains effets de sa politique.
II.2. L’Union Européenne prise (évidemment) de court
Une telle évolution est parfaitement reflétée dans l’allocution prononcée par le président Macron le 30 novembre 2022 devant la communauté française à l’ambassade de France à Washington. En effet, face aux défis sécuritaires (guerre en Ukraine) et environnementaux (climat) il existe, souligne le Président, le « risque » que « les États-Unis d’Amérique regard[ant] d’abord les États-Unis d’Amérique, ce qui est normal — nous faisons pareil — regard[ant] ensuite leur rivalité avec la Chine […] l’Europe, et donc la France, devient une sorte de variable d’ajustement ». Il faut donc « resynchroniser » nos agendas « parce qu’on commence à se décaler sur les sujets énergétiques et le coût de la guerre n’est pas le même en Europe et aux États-Unis, mais surtout les choix faits dont je partage les objectifs, en particulier l’Inflation Reduction Act ou le Chips Act, sont des choix qui vont fragmenter l’Occident parce qu’ils créent de telles différences entre les États-Unis d’Amérique et l’Europe que pour toutes celles et ceux qui travaillent dans nombre d’entreprises, il vont juste se dire “on ne fait plus d’investissements de l’autre côté de l’océan”. Et ces choix ne peuvent fonctionner que s’il y a une coordination entre nous, si on se décide ensemble, si on se resynchronise. C’est fondamental. [32]»
On est pour le moment bien loin du compte. En effet, aux plans de l’administration Biden est venue s’ajouter, en Europe, la mise en place d’une taxe carbone. Sur le principe, on ne peut que se féliciter d’une telle décision et il faut regretter qu’elle ait si longtemps tardé à voir le jour. Pour autant, en ces matières, le Diable se cache dans les détails et il convient de toujours être attentif aux effets contreproductifs d’une mesure mal pensée.
Une brève mise au point théorique s’impose. L’idée d’une taxe carbone aux frontières de plusieurs pays a été formalisée par l’économiste américain William Nordhaus sous l’expression de « club climat ». Dans un article intitulé « Climate Clubs : Overcoming Free-riding in International Climate Policy » [33] paru en 2015, il fait remarquer que beaucoup d’accords internationaux dans des domaines tels que la finance, le commerce, la défense… ont eu des effets positifs dans la mesure où ils fonctionnent selon des mécanismes dits de « clubs ». « Un club, explique-t-il, est un groupe formé sur une base volontaire dont les membres obtiennent des avantages mutuels en partageant les coûts liés à la production d’une activité possédant des caractéristiques de bien public », par exemple la stabilité climatique. Pour que l’action d’un club soit couronnée de succès, ajoute-t-il, il faut qu’au moins quatre conditions soient respectées. 1. Qu’il existe une ressource de type bien public qui puisse être partagée (alliance militaire…). 2. Que le respect du règlement intérieur soit bénéfique à chacun. 3 . Que les non-membres puissent être pénalisés à faible coûts pour les membres. 4. Qu’aucun membre ne soit tenté de partir. Pour William Nordhaus, un « Club climat » (Climate club) regrouperait des pays qui décideraient d’adopter deux types de mesures. D’une part, une réduction de leurs émissions et, d’autre part, un droit de douane spécifique sur les importations en provenance des pays non membres.
À l’évidence, l’UE satisfait ces deux conditions : elle s’est fixée des objectifs ambitieux de réduction de ses émissions de carbone et la taxe qu’elle a décidé de mettre en œuvre s’appliquera à tous les pays non membres. Ainsi, le 13 décembre 2022, l’UE (la Commission, le Parlement et les États membres) s’est accordée sur la mise en œuvre d’une taxe carbone aux frontières baptisée Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). Ce dispositif entrera en vigueur à partir de 2023.
Seulement, William Nordhaus précise bien qu’il ne s’agit pas d’imposer une telle taxe sur les importations des non-participants en fonction du contenu en carbone de ces dernières car on constate facilement que beaucoup de produits dont l’empreinte carbone est élevée ne sont pas exportés. C’est par exemple le cas de l’électricité produite par des centrales à charbon aux États-Unis ou en Chine. Il est donc plus efficace de lever des droits de douane environnementaux (par exemple 2 %) sur l’ensemble des importations en provenance des pays non membres à destination des pays membres. La justification d’une telle mesure réside dans le fait que les pays non membres endommagent le climat avec leur mode de production gourmand en énergies fossiles et pas seulement avec la production de biens destinés à l’exportation. En d’autres termes, la taxe doit peser sur tous les biens importés… ou sur aucun.
C’était le sens de la proposition faite en 2006 par Dominique de Villepin alors Premier minsitre lorsqu’il déclarait: « L’Europe doit peser de tout son poids pour refuser [toute] […] forme de dumping environnemental. Je souhaite donc que nous étudiions dès maintenant avec nos partenaires européens le principe d’une taxe carbone sur les importations de produits industriels en provenance des pays qui refuseraient de s’engager en faveur du protocole de Kyoto après 2012 [34] ».
Or, curieusement, le MACF ne pèsera que sur les importations d’acier, de ciment, d’engrais, d’aluminium, d’hydrogène et d’électricité en provenance de pays tiers. L’idée qui sous-tend cette disposition est de dissuader les industriels européens de délocaliser leur production hors d’Europe (puis d’en « réimporter » une partie) et d’inciter les pays non européens à taxer le carbone au même niveau que l’Europe afin qu’à terme leurs produits ne soient plus soumis au MACF. En d’autres termes, il s’agit d’éviter aux industriels européens d’être concurrencés par des entreprises non-européennes qui n’ont pas à acheter des crédits carbone. Mais il y a un problème de taille. La taxe ne porte que sur des produits bruts si bien qu’un constructeur automobile européen important de l’acier des États-Unis le paiera plus cher que son homologue américain qui, lui, pourra exporter ses voitures en Europe sans être assujetti au MACF puisque celui-ci ne porte pas sur les produits transformés. En revanche, la voiture électrique européenne ne bénéficiera d’aucune aide à l’achat aux États-Unis, car non fabriquée sur place, et sera taxée à 25% sur le marché chinois alors que les voitures chinoises ne sont taxées qu’à 10% en arrivant en Europe…[35]
Par ailleurs, le Parlement européen souhaite qu’avec la montée en puissance du MACF les quotas gratuits distribués aux industriels européens soient progressivement supprimés. « Il s’agit d’un point crucial : en traitant à égalité importations et production locale, Bruxelles estime rester dans les clous des règles de l’Organisation mondiale du commerce [36]». On voudrait que les industriels européens – qui payent l’énergie cinq fois plus cher que leurs homologues américain [37]– délocalisent aux États-Unis – qui vendent aux Européens du gaz quatre fois plus cher que ne le payent leurs industriels [38]– que l’on ne s’y prendrait pas autrement.
Certaines annonces ont déjà eu lieu. Ainsi, dès octobre 2022, BASF – premier consommateur de gaz allemand – avait annoncé vouloir réduire « de manière permanente » ses investissements en Europe. Bayer, son concurrent, lui a emboité le pas en janvier en faisant part de son intention de favoriser la Chine et les États-Unis [39]. Entretemps, le suédois Northvolt, qui fabrique des batteries lithium-ion, pourrait décider d’investir aux États-Unis plutôt qu’en Europe [40]. Le 8 mars 2023 le site du Financial Times révélait que la direction de Volkswagen avait annoncé aux autorités européennes sa décision de repousser son projet d’investissement dans une usine de fabrication de batteries en Europe de l’Est en raison de la perspective de pouvoir bénéficier de 10 milliards d’euros de subvention pour la même opération aux États-Unis [41]. Dans un entretien accordé le 4 décembre 2022 au Journal du dimanche, Thierry Breton, le commissaire européen au marché intérieur, le dit sans détours : « Le risque est d’attirer aux États-Unis des pans de notre industrie, voire des investissements stratégiques que des entreprises de pays tiers comptaient réaliser en Europe ». La lecture de certains chiffres est sans appel. Entre 2019 et 2022 la part américaine des investissements mondiaux est passée de 20 à 30%, celle de l’Europe est demeurée autour de 13% tandis que celle de l’Asie a un peu cédé du terrain mais est tout de même restée à un peu plus de 50% [42].
L’Union Européenne paie au prix fort sa fascination infantile pour la politique de la concurrence, son absence de vision historique, sa méconnaissance des risques de la dépendance énergétique (au gaz russe), aux produits médicaux et aux terres rares (chinois), aux brevets (américains)… Elle est également victime des conséquences néfastes de l’ordo-libéralisme allemand. On est sidéré d’entendre le Commissaire européen à l’Action pour le climat, Frans Timmermans – censé guider l’UE vers la neutralité carbone, avec le volume d’investissement qu’un tel objectif suppose – reconnaître benoitement le 16 mars 2023 à l’occasion de la présentation par la Commission européenne d’un projet de loi pour « une industrie à zéro émission » (voir plus bas) : « L’erreur que nous avons faite, je pense, ça a été de ne pas avoir de politique industrielle. Pendant trop longtemps en Europe, nous avons pensé que le marché réglerait tout. » « Nous comprenons maintenant que les choix stratégiques que la Chine a faits il y a une dizaine d’années sont désormais un problème. Maintenant il nous faut aussi avoir notre propre stratégie pour les années à venir [43]. »
A Bruxelles on croit (croyait?) à la vertu de la concurrence libre et non faussée tandis qu’à Washington on parie plus que jamais sur la politique industrielle.
Le temps presse. Dans un tel contexte et dans des domaines où les investissements ne sont pas (facilement) redéployables, des irréversibilités peuvent très vite survenir. Comme le souligne un expert du secteur automobile, Erwan Gaudemer : « Les politiques d’électrification très actives menées en Chine et aux États-Unis créent un énorme appel d’air. C’est maintenant que les constructeurs vont décider dans quelle partie du monde ils vont installer leurs usines d’assemblage de véhicules et de fabrication de batteries. Si des décisions claires et rapides ne sont pas prises, l’Europe va perdre son avance » [44].
II.3. Le « Friend shoring » : acte de décès de l’OMC ?
Face aux craintes européennes, la réponse américaine est simple : « faites comme nous ! ». Ainsi, lors du Forum de Davos de janvier 2023, John Kerry, l’émissaire de la Maison Blanche pour le Climat, a répondu aux craintes et critiques européennes face à l’IRA de la façon suivante : « La réaction des autres pays ne devrait pas être : “ Oh mon Dieu, vous ne devriez pas faire ça, cela nous met dans une position injuste.” Faites-le aussi. Tout le monde doit faire la même chose pour accélérer encore plus ce processus [45] ». Quelques semaines plus tard, lors de Ceraweek 2023 – un peu le « Davos » de l’énergie – la secrétaire à l’énergie américaine Jennifer Granholm était sur la même longueur d’ondes en lançant aux Européen : « Vous devriez faire la même chose! [46]».
Dans le même temps, Janet Yellen essaie d’amadouer les alliés des États-Unis en Europe et en Asie avec le principe du « friend shoring ». Elle développe ce nouveau principe de politique économique – il serait plus exact de parler de nouvelle expression – dans une tribune parue le 12 décembre 2022 sur le site Project Syndicate et intitulée « Resilient Trade [47] ».
Elle y explique que la théorie des avantages comparatifs doit être complétée par la prise en compte de « la fiabilité des échanges commerciaux ». En effet, selon elle, le secteur privé n’internalise pas à lui seul un niveau suffisant de résilience économique, trop d’entreprises ne prennent pas en compte les considérations de sécurité nationale ni comment une interruption de leur production a un impact sur d’autres firmes ainsi que sur les consommateurs. Les gouvernements ont donc un rôle à jouer dans le renforcement de la résilience économique au niveau national. « Dans le monde d’aujourd’hui, explique-t-elle, je pense que tout programme économique devrait prendre en considération la possibilité de chocs globaux ou régionaux sur nos chaînes d’approvisionnement, parmi lesquels ceux provoqués par les politiques de certains gouvernements étrangers. Nous sommes préoccupés par les vulnérabilités qu’engendre la surconcentration, les risques géopolitiques et de sécurité et les violations des droits de l’Homme. A travers une approche appelée “friend shoring”, l’administration Biden vise à maintenir l’efficacité du commerce tout en promouvant la résilience économique des États-Unis et de ses partenaires ».
Le « friend shoring » n’est, selon elle, « pas du protectionnisme », il vise à combiner résilience économique et efficacité du commerce. Washington veut donc se diversifier loin des pays à risques en multipliant des engagements bilatéraux et multilatéraux avec des partenaires de confiance. Et Janet Yellen de citer le Conseil du commerce et des technologies UE-États-Unis, le Cadre économique Indo-Pacifique (40% du PIB mondial) ou encore le Partenariat des Amériques pour la prospérité économique. Le « friend shoring » n’est pas limité, ajoute-t-elle à un groupe prédéterminé de pays, c’est une politique ouverte et, est-il besoin de le dire ?, « inclusive ».
On aimerait le croire. Pourtant, le cas du groupe néerlandais ASLM qui est la seule entreprise au monde à construire les machines permettant de fabriquer les puces les plus perfectionnées montre que Washington est plus « shoring » que « friendly ». En effet, sur pression de la Maison Blanche, les Pays-Bas ont annoncé, le 8 mars 2023, qu’ils allaient ralentir l’exportation de ce type de technologies. Dans une lettre adressée au Parlement, Liesje Schreinemacher, la ministre néerlandaise des affaires étrangères déclare : « Le gouvernement a abouti à la conclusion qu’il était nécessaire pour la sécurité internationale et nationale d’étendre le contrôle actuel des exportations de matériels pour la production de semi-conducteurs spécifiques » [48].
L’Europe dispose en fait d’assez peu de marges de manœuvre (si tant est qu’elle veuille en faire usage).
La première serait, bien sûr, d’attaquer les États-Unis devant l’OMC pour les nombreuses mesures contenues dans le Chips and Science Act et l’IRA qui contreviennent aux principes du commerce international tels qu’ils ont été adoptés depuis la fondation du GATT en 1947. Des précédents de recours entre Bruxelles et Washington existent, le plus célèbre étant celui qui a opposé Boeing et Airbus durant de longues années et qui s’est soldé par une double condamnation réciproque en 2019 et 2020, avant une cessation des hostilités pour cinq ans décidée en juin 2021 [49]. Mais désormais une telle action des Européens serait sans effet sur le plan juridique car l’Organe d’appel [50] de l’Organe de règlement des différends (ORD) de l’OMC (en fait c’est le Conseil général qui se réunit en tant qu’ORD) ne fonctionne plus faute de juges. L’origine de cette situation remonte à l’administration Obama attaquant la nomination de certains membres de cette instance d’appel. Puis Donald Trump a bloqué toute nouvelle nomination créant une situation de paralysie à laquelle Joe Biden n’a pas voulu remédier. Le site de l’OMC consulté le 6 avril 2023 est très clair : « Actuellement, l’Organe d’appel n’est pas en mesure d’examiner des appels car des sièges demeurent vacants en son sein. Le mandat de la dernière membre en exercice de l’Organe d’appel a expiré le 30 novembre 2020 [51]». En d’autres termes, si les Européens obtenaient gain de cause en « première instance » et que Washington ne se range pas à l’interprétation retenue, le dossier ne pourrait pas être traité en « appel » faute de juges.
On avait espéré que l’enlisement de l’OMC (impossibilité de conclure le Cycle de Doha…) pourrait être surmonté par l’ouverture de négociations sur des sujets comme le changement climatique où les principaux pays avaient des intérêts en commun et pour lesquels les questions économiques jouaient un rôle de tout premier plan. L’attitude de Washington oblige à renoncer à ce type de perspectives.
Jean Pisani-Ferry soutien néanmoins la thèse selon laquelle, malgré le blocage américain, l’UE aurait tout de même intérêt à contester les dispositions de l’IRA devant l’OMC car cela « permettrait de légitimer d’éventuelles mesures de rétorsion et ouvrirait la voie à la négociation d’un accord plurilatéral sur les politiques climatiques, dont la nécessité est d’ores et déjà patente [52] ». En février 2023, on apprenait que l’exécutif européen avait l’intention d’activer une clause de réciprocité qui existe au sein de l’OMC mais à laquelle l’UE n’a jamais recouru. Il s’agira(it) pour Bruxelles d’autoriser les États membres à offrir, dans le cas de projets d’investissement importants, les mêmes avantages fiscaux que ceux proposés par un État tiers. L’idée est de se mettre à niveau en ce domaine avec Washington et Pékin [53].
On pourrait également, dans le droit fil des conseils, de John Kerry et Jennifer Granholm, imaginer que les pays européens, voir l’UE en tant que telle, accordent des subventions massives à leurs industriels et à leurs ménages.
Ou encore réclamer des assouplissements à certaines règles sur la nationalité des produits. Selon certains experts, l’IRA ne pourra pas fonctionner sans ce type de mesures.
Pour l’heure on est loin du compte. Le 16 mars 2023, la Commission européenne a présenté un projet de loi pour une « industrie à zéro émission » qui fixe… des objectifs. D’ici 2030, l’UE devrait assurer la production de 20% des semi-conducteurs dont elle a besoin et couvrir 40% de ses besoins en technologies vertes (panneaux solaires, pompes à chaleur…). La Commission propose que d’ici à 2030, les Vingt-Sept soient en capacité d’extraire de leur sous-sol 10% de leur consommation en terres rares contre 3% à l’heure actuelle. La Commission a identifié des projets « stratégiques » dans huit domaines : photovoltaïque, éolien, batteries, pompes à chaleur, électrolyseurs, biogaz, captage et stockage du carbone, technologies de réseau… qui bénéficieront de conditions avantageuses et qui ne pourront pas voir leur mise en œuvre être bloquée pour des raisons environnementales. Les technologies nucléaires du futur (petits réacteurs…) seront éligibles au statut d’énergie verte, mais l’atome en tant que tel ne fait pas partie des domaines stratégiques. Trois vice-présidents ont tenté, mais finalement sans succès, d’exclure le nucléaire du dispositif, notamment Frans Timmermans qui venait de découvrir (voir citation plus haut) que le marché ne réglait pas tous les problèmes et que la Chine pouvait représenter un danger…
Thierry Breton, qui défend de longue date une politique industrielle européenne, s’est félicité de l’évolution idéologique de son collègue Frans Timmermans – « de la musique douce pour mes oreilles » – mais a tout de suite prévenu : « Nous n’avons aucunement l’ambition de nous comparer aux Etats-Unis en matière d’interventionnisme et de protectionnisme, encore moins à la Chine. […] Nous ne sommes pas une économie planifiée » [54]. Quant à Jean Pisani-Ferry, la leçon qu’il tire de ce « plan » est sans appel : « si l’objectif fixé, d’une part de marché de 40% des producteurs de l’UE pour un ensemble de technologies vertes est louable, et si certaines mesures de simplification réglementaire sont les bienvenues, le compromis entre les partisans d’une politique industrielle affirmée et les tenant de la ligne libre-échangiste s’est fait sur un objectif sans moyens. Ce n’est pas ainsi que l’Europe pourra répondre aux défis chinois et américain [55] ».
Manifestement, pour reprendre la formule prêtée à Henry Kissinger, l’Europe n’a toujours pas de numéro de téléphone (unique) ! En effet, pendant que la Chine et les Etats-Unis déroulent des politiques industrielles d’une ampleur considérable, les pays européens se chamaillent [56] sur l’inclusion du nucléaire et du gaz dans la « taxonomie », sur le type d’hydrogène (vert et/ou gris) à inclure dans le calcul des efforts pour parvenir à 45% de renouvelables d’ici 2030, sur la réforme du calcul du marché européen de l’électricité, sur la fin du moteur thermique en 2035…
Par ailleurs, pour le moment peu de monde semble avoir pris conscience que le doublement des capacités de production des semi-conducteurs, des systèmes de production d’énergie bas carbone et des batteries représenterait entre 3,2% et 4,8% du PIB mondial[ii]. Si l’on peut comprendre l’attitude américaine on peut déplorer qu’aucune des décisions analysées dans cette note n’ait fait l’objet d’une concertation avec les alliés européens ou asiatiques de Washington, car il est évident que le renchérissement des matériels concernés va toucher tout à la fois les adversaires et les amis des États-Unis.
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L’UE n’a nullement tiré les leçons du mandat de Donald Trump. Tout se passe comme si à Bruxelles on n’envisageait pas le retour d’un Républicain à la Maison Blanche [58] et comme si l’on n’avait pas intériorisé la mutation de la politique étrangère américaine depuis le début des années 2000. En effet, au-delà de la bonne image dont il peut jouir au sein des opinions publiques européennes – et qui n’en bénéficierait pas après Donald Trump ? – Joe Biden n’a pas véritablement rompu avec le virage unilatéraliste effectué par George W. Bush dès le début de son premier mandat, virage renforcé par les attaques contre le World Trade Center.
Il ne s’agit évidemment pas d’idéaliser la pax americana des Trente Glorieuses. La crise du canal de Suez en 1956 ou la fin de la convertibilité en or du dollar le 15 août 1971 sont là pour rappeler l’importance des rapports de forces sur l’échiquier international, y compris entre alliés. On se souvient de la phrase de John Connally, le Secrétaire au Trésor de Richard Nixon à un groupe de ministres des finances européens en novembre 1971 : « le dollar est notre monnaie mais c’est votre problème ». Quelques années plus tôt (en 1942-1943), la préférence du président Roosevelt pour le général Giraud plutôt que pour le général de Gaulle, et plus tôt encore, pour le régime de Vichy plutôt que pour la France Libre, illustre à la perfection que les relations internationales sont – pour reprendre le concept de Thomas Schelling [59] – un jeu à motifs mixtes.
Néanmoins, il est incontestable que de 1945 au seuil des années 1970, pendant la période de leur gestion hégémonique – dans le sens étymologique du terme – des relations transatlantiques, les États-Unis ont centré leur action sur l’institutionnalisation des alliances et la création de régimes de gouvernance économique et financière. Ce processus d’institutionnalisation était, comme l’écrit Robert Keohane, « un phénomène unique du point de vue de l’étendue et de l’efficacité des instruments aux mains de l’État hégémonique, et des succès obtenus [60]». L’importance des régimes institutionnalisés s’est d’ailleurs accru pour les États-Unis après la chute de l’URSS en 1991 et la création d’un marché libre mondial. Pendant la décennie 1990, les États-Unis ont joué un rôle moteur dans la création de l’OMC (1995) et dans l’interventionnisme accru d’un Fonds monétaire international chargé de l’extension et de la gestion de la libéralisation globale. En tant qu’acteur dominant de l’économie politique internationale, les États-Unis ont utilisé ces institutions pour façonner les comportements, définir les nouvelles règles et les contraintes de la mondialisation.
Or, avec le virage néo-impérial effectué par George W. Bush, les États-Unis ont, pour reprendre un concept forgé par Charles Kindleberger [61], abandonné leur politique de « gouvernance hégémonique ». Une telle politique suppose la construction d’un consensus, au moins avec les pays industriels avancés, afin de légitimer par le consentement la prédominance de Washington sur de nombreux pans de la politique intérieure (plan Marshall) comme internationale (OTAN…) de ses alliés.
Au rebours de cette approche, l’administration Bush a marqué sa préférence pour une politique unilatérale dans tout un ensemble de domaines allant de la défense (guerre préventive…) à la lutte contre le changement climatique. Comme nous l’écrivions en 2004 avec Philip Golub, les « opérations de démolition [de l’administration Bush] ne se limitent pas à l’ONU et au droit international. Elles s’étendent à la sphère économique, où l’on perçoit une nette tendance au protectionnisme et un retour au bilatéralisme dans les relations commerciales. Ainsi que l’écrit Stanley Hoffman, cet ensemble cohérent d’actions ne peut pas être interprété comme une simple variante robuste du “multilatéralisme à la carte” traditionnellement pratiqué par l’hegemon américain. Il représente, [comme l’analyse Stanley Hoffman] un effort de “destruction délibérée des schèmes clefs de coopération établis depuis 1945 et destinés à introduire un peu d’ordre et de modération dans la jungle des conflits internationaux traditionnels [62] »[63]. Ainsi, s’agissant du climat, Washington est sorti des négociations du protocole de Kyoto en mars 2001, a approuvé l’accord de Paris en décembre 2015, est sorti de ce dernier en juin 2017 pour y revenir en janvier 2021… avec l’objectif déclaré d’en assurer le leadership [64] !
L’IRA met en évidence qu’en matière de relations économiques internationales, la politique de Joe Biden se situe dans le droit fil de celle de son prédécesseur, avec naturellement un niveau de sophistication bien supérieur. Il est ainsi tout à fait significatif de constater que Washington, avec Joe Biden comme avec Donald Trump, refuse d’associer les Européens dans une véritable alliance politique et économique face à la Chine. La « nouvelle économie de l’offre » ou le « friend shoring » de Janet Yellen sont des « éléments de langage » qui font penser à ce passage des Mémoires d’espoir du général de Gaulle à propos de Kennedy : « Les Américains ont pris le parti de notre indépendance […]. Mais ils n’imaginent pas pour autant que leur action cesse d’être prépondérante et que la nôtre puisse s’en séparer. En somme, ce que Kennedy me propose dans chaque cas, c’est de recevoir une part de ses entreprises [65] ».
Certes, le degré de continuité entre les politiques de Joe Biden et celles de ses prédécesseurs est un objet de réflexion que cette conclusion n’a nullement la prétention de trancher. Et cela d’autant plus que nous n’avons analysé ici qu’un volet de la politique de Washington. Ce qui est incontestable, en revanche, c’est que la politique de l’actuelle administration américaine s’inscrit parfaitement dans l’histoire longue des politiques industrielles menées par Washington tout au long de la Guerre froide. Elle reflète une constante de la politique internationale des États-Unis qui ont toujours agi, quand ils l’estimaient nécessaire et souvent de façon unilatérale, selon des logiques mêlant compétition et coopération.
Face à un monde de plus en plus dangereux, plus fragmenté et plus interconnecté que jamais, où émergent de nouvelles dynamiques de diffusion des menaces et où s’accroit l’interdépendance entre les niveaux de conflictualité, l’Europe semble irrémédiablement à la traîne. Elle paie ses illusions sur la possibilité d’une pacification irréversible en longue période des rapports internationaux, ses rêves sur le « post-national » et l’adhésion d’une partie de ses élites à l’ordolibéralisme. Il est bien loin le temps où, en quelques semaines entre 1973 et 1974, Marcel Boiteux, Maurice Allais, EDF, le CEA, Creusot Loire, Framatome et la CGE pouvaient mettre sur pied le plan Messmer [66]. Cinquante-trois après la fondation d’Airbus, tout semble désormais difficile aux Européens.
Sources
[3] https://www.ncsl.org/state-federal/infrastructure-investment-and-jobs-act
https://www.congress.gov/117/plaws/publ58/PLAW-117publ58.pdf
[4] https://www.congress.gov/117/plaws/publ167/PLAW-117publ167.pdf
[6] McKinsey & Company, « The CHIPS and Science Act: Here’s what’s in it », 4 octobre 2022. URL : https://www.mckinsey.com/industries/public-and-social-sector/our-insights/the-chips-and-science-act-heres-whats-in-it
[7] Arnaud Leparmentier, « Projet pétrolier en Alaska : le revirement de Biden », Le Monde, 16 mars 2023, p. 12.
[8] « Green v green », The Economist, 4 février 2023, p. 35-37.
[9] Nimby est l’acronyme de l’expression « Not In My BackYard » qui signifie littéralement « pas dans mon arrière-cour ». Le terme « nimbyste » désigne une personne opposée à un projet d’aménagement (éolienne, déchetterie…) en raison, non nécessairement d’une opposition de principe, mais des nuisances qui pourraient en résulter.
[10] En fait, le Texas produisait déjà en 2020 20% de son électricité grâce à l’éolien, chiffre pouvant atteindre parfois 55%. Cela était dû à une diminution des coûts de production, une demande élevée et des aides fédérales ainsi qu’un réseau électrique étatique (Ercot : Electric Reliability Coucil of Texas). Voir « Green Texas », The Economist, 14 mars 2020, p. 32-33.
[11] « Not green but clean. Lessons for liberals from Texas’s climate-sceptic wind ranchers », The Economist, 14 janvier 2023, p. 62.
[12] « And now for my next act », The Economist, 13 août 2022, p. 31-32.
[13] « Rosy for riveters », The Economist, 4 février 2023, p. 17.
[14] Idem, p. 17.
[15] Mariana Mazzucato, Mission economy. A Moonshoot Guide to Changing Capitalism, Allen Lane, 2021, p. 92. Un dollar de janvier 2008 vaut approximativement 1,43 dollar de février 2023. Source : https://data.bls.gov/cgi-bin/cpicalc.pl?cost1=1&year1=200801&year2=202302
[16] « Rosy for riveters », The Economist, op.cit., p. 17.
[17] Arnaud Leparmentier, « Les autorités américaines prêts à secourir les banques régionales », Le Monde, 23 mars 2023, p. 17.
[18] « And now for my next act », The Economist, op. cit., p. 32.
[19] « Rosy for riveters », The Economist, op. cit., p. 18.
[20] The White House, Building a clean energy economy: A guidebook to the Inflation Reduction Act’s investments in clean energy and climate action, janvier 2023, version 2, p. 2.
[21] « Adieu, laissez-faire », The Economist, 29 octobre 2022, p. 22.
[22] « Rosy for riveters », The Economist, op. cit., p. 19.
[23] Idem, p. 18.
[24] Idem, p. 17.
[25] Crédit Suisse, Treeprint. US Inflation Reduction Act –A tipping point in climate action, 2022, p. 6. URL : https://www.credit-suisse.com/media/assets/sustainability/treeprint-ira-global-implications.pdf?WT.i_short-url=%2Ftreeprintusinflationreductionact&WT.i_target-url=https%3A%2F%2Fcredit-suisse.com%2Fmedia%2Fassets%2Fsustainability%2Ftreeprint-ira-global-implications.pdf&murl_ref=https%3A%2F%2Fwww.google.com%2F
[26] « Rosy for riveters », The Economist, op. cit., p. 17.
[27] Jennifer Granholm. Url: https://www.c-span.org/video/?526539-1/energy-secretary-granholm-speaks-ceraweek-conference (minute 29).
[28] https://www.wto.org/french/thewto_f/whatis_f/what_stand_for_f.htm
[29] The White House, Building a clean energy economy: A guidebook to the Inflation Reduction Act’s investments in clean energy and climate action, op.cit., p. 49.
[30] « When the chips are down », The Economist, 3 décembre 2022, p. 44-45.
[31] Charles de Laubier, « Court-circuit sur l’électronique mondiale », Le Monde, 20 septembre 2022, p. 19.
[32] https://fr.franceintheus.org/spip.php?article11086
[33] William Nordhaus, « Climate Clubs : Overcoming Free-riding in International Climate Policy », American Economic Review, 2015, 105(4), p. 1339-1370.
[34] « Déclaration de M. Dominique de Villepin, Premier ministre, sur le développement durable, le renforcement des économies d’énergie et de la fiscalité écologique, les plans de déplacements urbains, et les enjeux internationaux du développement des écotechnologies », Paris le 13 novembre 2006. Texte disponible sur internet : https://www.vie-publique.fr/discours/164303-declaration-de-m-dominique-de-villepin-premier-ministre-sur-le-develo
[36] Audrey Garric, « La taxe carbone aux frontières de l’UE adoptée », Le Monde, 14 décembre 2022, p. 8.
[37] Marie Charrel, « Industrie : Chine et Etats-Unis mènent le bal », Le Monde, 13 décembre 2022, p. 18.
[38] Virginie Malingre, « Energie : le dilemme des Européens reste entier », Le Monde, 13 décembre 2022, p. 20.
[39] Philippe Escande, « A Davos, l’ombre de la démondialisation », Le Monde, 18 janvier 2023, p. 14 et « La grande peur européenne de la désindustrialisation », Le Monde, 18 mars 2023, p. 19.
[40] « Rosy for riveters », The Economist, op. cit., p. 18.
[41] Richard Milne, Patricia Nilsson et Peter Campbell, « VW puts European battery plant on hold as it seeks €10bn from US », Financial Times, 8 mars 2023. Url : https://www.ft.com/content/6ac390f5-df35-4e39-a572-2c01a12f666a
[42] Marie Charrel, « Industrie : Chine et États-Unis mènent le bal », Le Monde, 13 décembre 2022, p. 18.
[43] Cité dans Virginie Malingre, « L’UE se dote d’une politique industrielle », Le Monde, 18 mars 2023, p. 18. On ne peut manquer d’évoquer la décision prise en 2019 par la Commission européenne de bloquer le projet de fusion Alstom-Siemens. Voir Lionel Steinmann, « La Commission européenne justifie son rejet de la fusion Alstom-Siemens », Les Échos, 7 février 2019. URL : https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/la-commission-europeenne-rejette-la-fusion-alstom-siemens-962329
[44] Cité dans Jean-Michel Normand, « Les obstacles se multiplient devant la voiture électrique », Le Monde, 22 mars 2023, p. 16.
[45] Virginie Malingre, « Les projets de l’Europe pour gagner la bataille industrielle », Le Monde, 19 janvier 2023, p. 17.
[46] Jennifer Granholm, op. cit.
[47] Janet Yellen, « Resilient Trade », Project Syndicate, 12 décembre 2022. Url : https://www.project-syndicate.org/magazine/biden-trade-agenda-emphasizes-resilience-by-janet-l-yellen-2022-12
[48] « Puces électroniques : les Pays-Bas vont freiner l’exportation de certaines technologies pour raisons de “sécurité” », Le Monde avec AFP, 8 mars 2023. Url :
[49] Guy Dutheil, Laurence Girard et Virginie Malingre, « Trêve commerciale entre l’Europe et les Etats-Unis », Le Monde, 17 juin 2021, p. 18 ; Loïc Grard et Vincent Correia, « Chapitre 3. Le droit de l’Organisation mondiale du commerce et la vente des aéronefs », in Cyril-Igor Grigorieff et Vincent Correia (dir.), Le droit du financement des aéronefs, Bruylant, Bruxelles, 2017, p. 361-376 ; Pierre Sparaco, Airbus. La véritable histoire, Toulouse, Privat, 2005, p. 314-323.
[50] « C’est un organe permanent composé de sept personnes qui connaît des appels concernant des rapports remis par des groupes spéciaux dans le cadre de différends soumis par des Membres de l’OMC. L’Organe d’appel peut confirmer, modifier ou infirmer les constatations et conclusions juridiques d’un groupe spécial et les rapports qu’il établit sont adoptés par l’Organe de règlement des différends (ORD) à moins que tous les Membres décident de ne pas le faire. » Url : https://www.wto.org/french/tratop_f/dispu_f/appellate_body_f.htm
[51] https://www.wto.org/french/tratop_f/dispu_f/appellate_body_f.htm
[52] Jean Pisani-Ferry, « Répondre à l’Inflation Reduction Act », Le Monde, 26-27 février 2023, p. 27.
[53] Philippe Jacqué, « Transition climatique : Bruxelles dévoile sa réponse au plan Biden », Le Monde, 3 février 2023, p. 14.
[54] Virginie Malingre, « L’UE se dote d’une politique industrielle », Le Monde, op. cit., p. 18.
[55] Jean Pisani-Ferry, « Le grand retour de la politique industrielle », Le Monde, 2-3 avril 2023, p. 31.
[56] Virginie Malingre, « Entre Paris et Berlin, la guerre du nucléaire », Le Monde, 5-6 mars 2023, p. 13.
[57] « Efficiency be damned », The Economist, 14 janvier 2023, p. 19.
[58] Un tel événement aurait sans doutes plus de conséquences sur la plan militaire qu’économique. En effet, rien ne prouve que la politique industrielle républicaine serait nécessairement plus agressive que la politique industrielle actuelle.
[59] Thomas Schelling, The Strategy of Conflicts, Cambridge, Harvard University Press, 1980.
[60] Robert Keohane, After Hegemony, Cooperation and Discord in the World Political Economy, Princeton, New Jersey, 1984, Princeton University Press, p. 37.
[61] Charles Kindleberger, The World in Depression 1929-1939, Londres, Penguin, 1987.
[62] Stanley Hoffman, « America Goes Backward », The New York Review of Books, vol. 50, n° 10, 12 juin 2003.
[63] Philip Golub et Jean-Paul Maréchal, « Hyper-puissance américaine et biens publics globaux », Géoéconomie, n°30, été 2004, p. 26. Voir également Philip Golub, Une autre histoire de la puissance américaine, Paris, Le Seuil, 2011.
[64] Voir Jean-Paul Maréchal, « Le « Pacte de Glasgow » : un exemple de coopération post-hégémonique ? », Choiseul magazine, 16 mars 2022. Url : https://www.choiseul-magazine.fr/2022/03/16/le-pacte-de-glasgow-un-exemple-de-cooperation-post-hegemonique/
[65] Charles de Gaulle, Mémoires d’espoir. Le renouveau 1958-1962, Paris, Plon, 1970, p. 268.
[66] Jean-Michel Bezat, « Nucléaire : le “plan Messmer”, programme Apollo à la française », Le Monde, 18 février 2023, p. 16.