En Afrique, la France doit faire face à la guerre informationnelle et réinventer son narratif
Lors de la conférence des ambassadrices et des ambassadeurs du 1er septembre, le Président Emmanuel Macron a dénoncé les « narratifs russe, chinois ou turc qui viendraient expliquer aux Africains que la France est un pays qui fait de la néo-colonisation et qui installe son armée sur leur sol ».
Appelant à être plus agressifs et mobilisés sur ce sujet, c’est la nouvelle ambassadrice à la diplomatie publique en Afrique, Anne-Sophie Avé, qui aura notamment la charge de l’implication du Quai d’Orsay sur cet aspect. Ancienne ambassadrice de France au Ghana, elle s’était fait remarquer pour son usage actif des réseaux sociaux et des médias, s’appuyant notamment sur un community manager ghanéen pour mieux toucher l’écosystème. Pour « installer le narratif » français, le Président a également évoqué le rôle du réseau France Médias Monde, sans préciser comment combiner outil d’influence et indépendance des rédactions.
Cet accent mis sur la guerre informationnelle dans son discours s’explique par le départ chaotique de l’opération Barkhane du Mali cette année. Les relations entre Bamako et Paris, et plus généralement les capitales occidentales, s’étant considérablement dégradées ces derniers mois. En effet, si Paris peut toujours mettre à son actif quelques succès militaires, l’opération est un échec sur le plan politique et de l’image. Plus globalement, l’image de la France au Sahel s’est considérablement détériorée.
Dans la dernière enquête « Mali-Mètre » du réputé think tank Friedrich Ebert Stifung, on apprend que 73 % des Maliens sondés sont insatisfaits des actions de l’opération Barkhane, tandis que 92 % d’entre eux font confiance à la Russie pour aider le Mali à retrouver son intégrité territoriale. Si le mécontentement de la population malienne est réel et le sentiment antifrançais croissant dans la région sahélienne, force est de constater que la Russie sait en tirer profit, en imprimant son narratif sur les griefs des opinions publiques.
Pour renforcer son influence sur le continent, Moscou investit massivement dans des campagnes de désinformation, lui permettant de relayer des messages favorables à des régimes amis et sur l’apport positif de la présence russe, tout en dénigrant les valeurs démocratiques, les pays occidentaux ou encore l’ONU. Des réussites qui ont incité d’autres gouvernements étrangers ou des acteurs nationaux à s’en inspirer. Selon le Centre d’Études Stratégiques de l’Afrique, la Russie reste néanmoins le principal pourvoyeur de campagnes de désinformation sur le continent, avec au moins 16 opérations connues, du Mali à Madagascar en passant par l’Afrique du Sud et la Libye.
Dans ce contexte, la France, en tant que compétiteur stratégique de la Russie sur le continent, est particulièrement visée par les attaques informationnelles russes, notamment au Mali et en Centrafrique. Récemment, l’armée française a choisi d’adopter une posture beaucoup plus offensive dans le champ informationnel. Cela a été le cas sur l’affaire du charnier de Gossi en avril, où l’état-major français a diffusé des images de drone visant à démontrer une mise en scène de crime de guerre afin de salir sa réputation. Surtout, l’armée française n’a pas hésité cette fois à désigner nommément les auteurs de cette attaque informationnelle, en l’occurrence le groupe Wagner dont les liens avec le Kremlin sont connus.
En décembre 2020, Facebook avait annoncé la suppression de réseaux de faux comptes attribués à la Russie mais également à la France, accusés d’avoir violé les politiques de Facebook concernant les ingérences gouvernementales ou étrangères. Même si les contenus de l’opération française visaient principalement à lutter contre les fake news, les moyens utilisés renforcent la méfiance des opinions publiques, qui vont finalement retenir la manipulation plutôt que le contre-discours.
Face à ce type d’attaques, la France ne doit pas céder à la tentation d’user des mêmes armes que des États peu respectueux des principes démocratiques de bonne gouvernance de l’information. Pour contrer ces campagnes de désinformation, la transparence, la pédagogie et une communication proactive sont nos meilleurs atouts, notamment en assumant les intérêts politiques et économiques français dans la région pour désamorcer les discours conspirationnistes.
La France doit également être plus offensive dans la défense des valeurs démocratiques – importance du débat public, accès à des informations pertinentes et fiables, liberté de la presse – en coopérant sur ces sujets avec les États africains qui souhaitent se prémunir contre ces assauts. Néanmoins, les initiatives purement étatiques engendreront toujours de la méfiance chez les citoyens, comme on peut le voir lors de l’établissement de lois anti fake news ou de commission anti-désinformation. C’est pourquoi l’engagement et la mobilisation d’acteurs de la société civile est essentielle, notamment des journalistes et des influenceurs, pour contribuer à un débat public se basant sur des informations exactes et en étant ouvert à des voix plurielles. Le travail d’associations comme Reporters sans Frontières défendant la liberté de la presse partout dans le monde ou d’organisations utilisant l’open source intelligence comme Bellingcat jouent un rôle essentiel à ce niveau.
Répondre de manière appropriée aux attaques informationnelles russes en Afrique est essentiel pour la défense de l’image de la France sur le continent. Toutefois, les sources du déclin de l’influence française et plus globalement de l’Occident sont plus profondes. Trop souvent perçus en Afrique comme des puissances hypocrites, maniant le « deux poids, deux mesures », que cela soit sur l’intervention en Libye ou la question des réfugiés, les pays occidentaux sont de moins en moins considérés comme des partenaires fiables, d’autant plus avec l’activisme de la Chine, de la Turquie, de la Russie ou encore des pays du Golfe. Si les sommets Europe – Afrique s’enchaînent sous le mantra du partenariat gagnant-gagnant, les Africains s’émeuvent régulièrement de l’arrogance ou du paternalisme de certains de leurs interlocuteurs européens.
Récemment, lors de l’Assemblée générale des Nations Unies, le président Emmanuel Macron s’en est pris en premier lieu à la Russie, mais a dans le même temps dénoncé l’attitude des pays non-occidentaux, considérant que « ceux qui se taisent aujourd’hui servent malgré eux, ou secrètement avec une certaine complicité, la cause d’un nouvel impérialisme, d’un cynisme contemporain qui désagrège notre ordre international sans lequel la paix n’est pas possible ». Cependant, ce souhait de neutralité a été réaffirmé à la tribune de la même assemblée par le président Macky Sall, actuellement président en exercice de l’Union africaine, rappelant que « l’Afrique a assez subi le fardeau de l’histoire ; qu’elle ne veut pas être le foyer d’une nouvelle guerre froide », se disant être le messager « d’un continent déterminé à travailler avec tous ses partenaires ».
Alors que le président français a évoqué l’urgence d’un « nouveau contrat entre le Nord et le Sud » et le président sénégalais promu « l’Afrique des solutions », nous devons être plus à l’écoute de nos partenaires africains, être capables de nous adapter face à des perceptions et des intérêts différents des nôtres. Pour la France et les pays occidentaux, le défi est double : il s’agit de démontrer par leurs actes qu’ils se tiennent bien aux côtés des pays africains dans les crises que nous traversons, mais également de s’assurer que leur narratif auprès des dirigeants et des peuples africains soit tout aussi efficace pour s’imposer dans le champ des perceptions.