Exploratrice et sportive de l’extrême, membre de l’équipe de France d’athlétisme, Stéphanie Gicquel vient de publier son troisième ouvrage « En mouvement » et partage dans cette tribune l’une des clés du succès sur les terrains de sport, dans l’entrepreneuriat et au-delà.
On observe dans l’ultra-endurance à haut niveau un nivellement des performances entre les hommes et les femmes. Cela est vrai dans beaucoup d’autres domaines et pourtant les femmes osent moins prendre leur place. Alors qu’un entrepreneur accompagné a deux fois plus de chance de poursuivre son projet au-delà des trois premières années, moins de 15% des femmes créant une entreprise financent leur projet par des prêts d’honneur ou des prêts bancaires garantis, moins de 3% des fonds levés en France sont levés par des start-ups dirigées par des femmes, 61% des femmes ont lancé leur entreprise sans business plan et 70% des femmes chefs d’entreprise n’en vivent pas. Une des raisons avancées pour expliquer cette différence est la moindre présence des femmes dans les réseaux professionnels dont il résulte un moindre accès à l’information. C’est pour cette raison que j’ai accepté d’être la marraine 2021 de Femmes des Territoires, un réseau qui invite les femmes entrepreneures à partager leurs expériences (business plan, financements) car même si nous portons toutes et tous un projet entrepreneurial différent, le chemin que nous empruntons est bien souvent similaire. Autant le partager pour aller, ensemble, un peu plus loin.
L’entrepreneuriat, comme le sport de haut niveau, est une sorte de sacerdoce par la vertu et le dévouement qu’il exige, de ces chemins profonds et tortueux dans lesquels on s’engage en songeant à l’étendue de sa quête et aux obstacles quelque peu nébuleux qui se dresseront tôt ou tard à découvert. Les contretemps, les doutes, ce sentiment de solitude parfois. Et pourtant on se met en mouvement avec conviction et optimisme. Quand l’accomplissement ressenti est proportionnel à la somme des efforts accomplis et des obstacles surmontés, il ne peut y avoir de raccourci. On se réjouira même de cette longue distance à parcourir et des sommets à franchir. Mais ce serait une erreur, je crois, de vouloir en faire une échappée solitaire. L’effort partagé adoucit en effet le dénivelé et nous emporte plus loin encore, en course à pied comme au-delà des terrains de sport, sans abîmer notre victoire. Bien au contraire.
Entre deux expéditions polaires, je pratique une discipline sportive où les femmes concourent avec les hommes, et vice-versa. Sur la ligne de départ, les athlètes vibrent d’une même passion sans distinction de genre. Dans cette exaltation élancée, il n’est pas rare qu’une femme prenne les devants et tire ce cortège jusqu’à atteindre la plus haute marche d’un podium rayonnant de mixité. Bras dessus, bras dessous.
Cette discipline, c’est l’ultrafond, une épreuve d’athlétisme qui consiste à courir la plus longue distance possible en 24 heures. La course à pied est perçue à tort comme un sport individuel, une pratique individuelle. Certes, personne ne peut courir à votre place, mais ce sport est tout sauf individualiste quand il met le coureur, l’athlète en mouvement vers quelque chose qui le dépasse.
Car peu importe en réalité celui ou celle qui remporte la course. Quand l’aiguille du temps vient irrémédiablement figer le mouvement, le dernier souffle jeté contre le tartan, chacun porte déjà sa victoire. Cette émotion transcendante puise sa force dans le fait de courir ensemble et non pas chacun de son côté. On avance ainsi à son rythme, à sa façon. Parfois on est devant. Parfois on est dépassé. Cycle sans fin. On tend la main et on s’accroche à son tour.
Lors des derniers Mondiaux, je me suis imprégnée de l’énergie dégagée par plus de quatre cents athlètes, hommes et femmes confondus sous les couleurs d’une quarantaine de pays, j’ai été portée dans la difficulté par un mot dit en passant, un geste bienveillant, ceux de Camille Herron, détentrice du record du monde, ceux de Courtney Dauwalter, auréolée de sa victoire à l’UTMB, et tant d’autres. Je les ai encouragées à mon tour quand elles traversaient une passe difficile, et j’ai couru ainsi sans m’arrêter, j’ai franchi le jour puis la nuit pour exprimer le meilleur de moi-même. Au petit matin, j’avais couru plus de 240 kilomètres. Dans le même temps, nous venions de parcourir ensemble une distance cumulée équivalente à deux fois le tour de la Terre, une distance qu’aucun athlète n’aurait évidemment pu couvrir seul.
Je suis convaincue que notre tissu entrepreneurial puise lui aussi une force illimitée dans la complémentarité de celles et ceux qui se lancent à travers les sentiers cabossés de la persévérance pour aller au bout de leur projet, dans l’entrelacement donc de nos différences, car il ne peut y avoir de complémentarité fertile sans diversité ni attention portée à la différence de l’autre. Le regard bienveillant est l’une de nos plus grandes richesses et il n’en coûte rien. Ne restons pas seuls, allons vers les autres, et puis ensemble, allons plus loin.