Eric Fohlen-Weill : « Faurecia possède de fortes ambitions dans la mobilité hydrogène »
Interview d’Eric Fohlen-Weill, Directeur de la Communication Corporate du groupe Faurecia, l’un des leaders mondiaux dans l’ingénierie et la production d’équipements automobiles
Au niveau de Faurecia, quel bilan pouvez-vous tirer de la crise du Covid 19 ?
Même si, à l’instar des acteurs de l’univers de l’automobile, nous avons souffert de la crise économique, nous sommes parvenus à maintenir nos positions et à faire preuve d’une grande résilience. Nous avons appliqué des règles de gestion financière très rigoureuses et nous avons même terminé l’année dernière avec une trésorerie disponible supérieure à celle de fin 2019 mais aussi avec un résultat opérationnel positif. L’épisode pandémique a renforcé certaines de nos convictions ainsi que les grandes tendances de l’automobile notamment l’irréversibilité de l’électrification et l’accélération de la nécessaire transition climatique avec des engagements forts notamment notre ambition de neutralité CO2.
En quoi l’hydrogène va-t-il jouer un rôle clé dans l’énergie et la mobilité du futur ? Comment Faurecia est-il positionné de ce point de vue ?
Faurecia possède de fortes ambitions dans la mobilité hydrogène. Nous avons pour objectif de réaliser 3,5 milliards de ventes à horizon 2030 et de devenir le leader mondial d’un marché estimé à 17 milliards à ce même horizon. Ayant investi plus de 160 millions d’euros en R&D, en partenariats et en acquisitions au cours des dernières années, nous avons constitué un écosystème unique nous permettant de contrôler plus de 80% de la chaine de valeur. Nous développons, en propre, des systèmes de stockage de l’hydrogène ainsi que des piles à combustible produites par Symbio, notre entreprise créée avec Michelin.
L’hydrogène constitue un vecteur énergétique clé de la transition climatique. En 2050, nous compterons 2 milliards d’êtres humains supplémentaires sur la planète et la demande en électricité devrait croitre sur cette même période de plus 20%. Pour faire face à cette croissance économique et démographique, il est donc vital d’augmenter les ressources en électricité décarbonée, donc majoritairement issues du renouvelable. Or celle-ci ne pourra se faire qu’en des lieux de production très éloignés des centres de consommation. A cet égard, l’hydrogène prend toute sa place car il s’agit d’une technologie idoine permettant de stocker, transporter et distribuer des grands volumes d’énergies renouvelables produits loin des zones de forte consommation, et à des moments où la demande d’énergie est forte. L’utilisation de l’hydrogène est particulièrement pertinente pour l’habitat (chauffage), la décarbonation de l’industrie et la mobilité.
La mobilité dite « lourde » (camions, bus, véhicules commerciaux, …) sera la première grande application automobile à utiliser cette technologie « zéro émission » car les batteries ne sont pas compétitives pour ces usages particulièrement «gourmands » où le temps de recharge doit être court, l’autonomie longue, et où la notion de poids, de charge utile, doit être maitrisé. En la matière, la solution «hydrogène » offre les mêmes avantages que les solutions thermiques actuelles. D’ici 2030, nous estimons que 2,5 millions de véhicules à hydrogène seront produits chaque année avec la répartition suivante : 500 000 camions et deux millions de véhicules utilitaires légers et passagers.
L’adoption à large échelle de la technologie hydrogène requiert une accélération forte et rapide de la compétitivité de l’ensemble du système. Grâce à la R&D pour laquelle nous consacrons 100 millions d’euros par an, à l’optimisation et à la mise à l’échelle, le coût des systèmes va continuer à baisser de manière significative. Notre objectif est de diviser par quatre le coût des systèmes de stockage à hydrogène et par plus de six celui des piles et autres composants d’ici 2030. Nous possédons à ce jour 5 sites de production dans le monde et nous entendons d’ici 2025 renforcer notre empreinte industrielle afin de générer des baisses de couts importantes.
Avec la montée en puissance des préoccupations environnementales, la voiture est-elle toujours d’actualité ?
Absolument. La voiture est synonyme de liberté. La crise du COVID l’a à nouveau démontré. L’enjeu est de créer les conditions d’une mobilité de demain qui soit plurielle, durable, abordable, connectée et personnalisée. La voiture de demain doit donc révéler les tendances d’aujourd’hui notamment autour de l’économie circulaire. Cela implique de nombreux changements pour les équipementiers notamment sur la façon dont on conçoit, fabrique et recycle nos solutions.
Chez Faurecia nous avons depuis plus de 10 ans lancé une gamme de matériaux durables visant à réduire l’empreinte de nos solutions pour l’habitacle. Nous allons, en ce sens, accélérer. Nous avons lancé dernièrement deux initiatives. Baptisées « Seat for the Planet » et « Interior for the Planet », ces dispositifs visent à aller au-delà en proposant des matériaux biosourcés, recyclés et recyclables avec des gains de poids et des réductions d’émissions importants d’ici 2030. Un des autres enjeux de la mobilité de demain sera aussi notre capacité à proposer des expériences connectées, personnalisées et adaptées au cas d’usage de chacun. Donc de passer d’un paradigme « vehicle centric » à « human centric ».
Nous avons déjà opéré cette mutation en créant il y a plusieurs années notre vision du Cockpit du Futur. Les occupants d’un véhicule doivent pouvoir poursuivre les expériences qu’ils vivent dans leurs différents environnements. La continuité digitale sera donc essentielle pour ce type d’expériences. Les architectures des véhicules vont en conséquence fortement évoluer afin d’être davantage orientées vers l’électronique et des puissances de calculs considérables.
Par ailleurs, la durée du cycle de vie d’un véhicule va s’allonger. Nous devons envisager de nouvelles approches afin de pouvoir mettre à jour un véhicule, changer son intérieur, ajouter des fonctionnalités plusieurs fois dans son cycle de vie, ce qui permettra également d’accroitre sa valeur résiduelle. La mobilité doit donc être diverse afin accompagner les besoins de chacun.
Propos recueillis par Eric Delon