Mobilité autonome : Construire l’autonomie stratégique en bâtissant de nouveaux champions européens
En juin 2020, au plus fort de la crise sanitaire en Europe, le président de la République réaffirmait l’importance et l’urgence de bâtir une Europe souveraine et une Europe qui avance ensemble, “en disant nous”, sur les sujets stratégiques. C’est une parole forte qui appelle des actes tout aussi forts. Si le président de la République a évoqué la recherche, la santé ou l’éducation comme domaines clés, celui de la mobilité doit être au premier rang des ambitions européennes renouvelées.
Notre mobilité évolue pour être de plus en plus compatible avec la nécessité d’une plus grande sobriété carbone et pour correspondre davantage aux nouveaux usages. L’un des principaux caps que nous devons nous préparer à franchir est celui de la mobilité autonome. Ce cap est pour demain. En moins de dix ans, l’ensemble des constructeurs a déployé sur ses différentes gammes, des capacités de conduite autonome de niveau 2, voire 3. L’autonomie complète dans certaines conditions (niveau 4), est en passe d’être techniquement maîtrisée, mais la question de son déploiement et de son utilisation dans l’espace public reste entière, alors que certains acteurs comme Waymo, la filiale de Google dédiée à la mobilité autonome, a lancé en octobre 2020 un service commercial sur le territoire américain[1].
À l’aune de la crise que nous traversons et des enjeux de souveraineté qui s’imposent à nous, nous ne pouvons que nous féliciter de l’inflexion qui s’opère dans la logique de concurrence pure et parfaite depuis la mise en place de la Commission Von der Leyen. Comme le soulignait Thierry Breton dans une tribune au Figaro, “Il s’agit d’assumer des choix qui seront déterminants pour le futur de nos concitoyens en développant les technologies et les alternatives européennes sans lesquelles il n’existe ni autonomie ni souveraineté”[2]. L’Europe ne peut plus assurer la défense de ses intérêts en étant cantonnée à sa posture de Candide : le soutien aux secteurs et acteurs stratégiques, mais aussi la mise en place d’un cadre réglementaire incitant les investissements intra-européens, doivent devenir la matrice de l’action des décideurs publics.
Nos principaux concurrents mondiaux ne débattent plus de la virgule depuis longtemps, ils avancent et vite. Depuis quelques mois, la mobilité autonome fait l’objet d’investissements massifs en Asie et en Amérique du Nord : les GAFAM ont largement pris position sur ce segment[3] et le gouvernement chinois a lancé une nouvelle série d’expérimentations[4] qui doit lui permettre de rattraper son retard sur les États-Unis en la matière. Pendant ce temps, sur le vieux continent, Volkswagen fait le choix d’investir plusieurs milliards dans une entreprise américaine, partenaire de Ford, plutôt qu’en Europe[5].
Cet exemple symptomatique montre qu’il est urgent de relocaliser ces investissements stratégiques en Europe afin de développer, sur notre sol et en accord avec les valeurs et les intérêts européens, de nouvelles “armes de souveraineté massive” selon la formule consacrée par Le Point[6] au lancement de Galileo.
La souveraineté n’est ni un concept passé, ni un gros mot. Celle-ci demeure une notion et une valeur partagées par nos concitoyens. L’Europe doit s’en saisir, la France doit en être le moteur. Il s’agit là d’un des nouveaux paramètres essentiels des relations internationales et il serait dommageable que l’Europe soit la seule grande puissance à ne pas se doter de champions industriels et numériques par une quête d’un libéralisme chimiquement pur.
Il est désormais crucial d’accélérer la mise en place, tant au niveau européen qu’au niveau des États membres, d’un cadre réglementaire qui soit à la hauteur des ambitions affichées. En effet, l’autonomie stratégique ne se décrète pas, elle se travaille et se construit sur le long cours. Ne pas poser dès maintenant des règles communes, c’est permettre aux autres puissances mondiales d’imposer leurs cadres, leurs normes, leurs valeurs.
L’Europe forme nombre de talents scientifiques et a réussi, ces dernières années, à endiguer la dynamique de fuite des cerveaux par-delà ses frontières. C’est heureux, d’autant que cumulé à des investissements volontaristes d’acteurs privés, et parfois publics, les réussites sont là. Dans le domaine de la R&D, il n’est pas exagéré de parler de très bon niveau européen en ce qui concerne les batteries et moteurs électriques, le cloud ou la 5G. Tout cela participera du développement de solutions de mobilité autonome, mais cette dernière ne restera qu’une réalité de laboratoire si l’on ne s’assure pas d’une capacité de dialogue entre les véhicules. C’est là que l’enjeu industriel devient un enjeu stratégique.
Afin de créer les conditions d’une croissance pérenne sur le sol européen, les États membres doivent rapidement s’engager sur des objectifs communs en particulier en matière de développement de nouvelles industries créatrices de valeur ajoutée.
À l’initiative de la France, l’Europe a su prendre ce rôle régalien en mettant en place une politique volontariste contre l’exploitation déloyale des failles du système de fiscalité s’appliquant aux entreprises offrant des services digitaux. L’initiation de ce type d’action est aussi un moyen de renforcer les liens entre les pays membres de l’UE. Il est une opportunité de réenchanter l’Europe avec le projet commun de recréer une fierté européenne après une Europe marquée par le Brexit.
Le cadre réglementaire que nous voulons en matière de réseaux de mobilité autonome est européen, et profitable à tous les citoyens et tous les territoires. L’innovation technologique n’a de sens qu’au service de l’intérêt général. C’est pourquoi nous devons nous assurer des standards de qualité exigés a priori et non une fois que nous constaterons le développement anarchique de solutions. Mais parce qu’il déterminera, de fait, le marché et les règles de celui-ci, ce cadre réglementaire sera aussi profitable aux entreprises, et donc à l’émergence de solutions innovantes, en renforçant l’attractivité européenne pour les investisseurs et en encourageant la collaboration entre divers groupes, afin de conjuguer des talents pluriels.
Créée en 2018, Goggo Network est une entreprise européenne de la mobilité, qui travaille, en lien avec les acteurs de la filière (constructeurs, opérateurs, collectivités) en France et plus largement dans un cadre européen, à l’élaboration du cadre juridique, réglementaire et technique des réseaux européens de mobilité autonome.
Parce que les investissements demandés seront importants, Goggo considère qu’il est crucial de créer un cadre économique incitatif et les conditions d’un marché qui généreront de la valeur pour le développement de cette technologie stratégique et ainsi assurer un développement coordonné des infrastructures au niveau européen. C’est le sens également de Levere, le SPAC lancé par Goggo et qui s’est vu côté en mars de cette année sur les marchés américains, attirant plus de 271 milliards de dollars d’investissement dans le champ des nouvelles mobilités en Europe.
Dès lors, Goggo soutient concrètement la mise en place d’une régulation vertueuse qui permettent d’établir un cahier des charges exigeant pour l’attribution de marchés pour les opérateurs qui gèreront les futurs réseaux de mobilité autonome commerciale, qui devrait être coordonné au niveau européen, à l’instar de ce qui a pu être fait dans le secteur des télécommunications. Les conditions d’un tel système sont la capacité à garantir un nombre limité d’acteurs, véritable ferment de concurrence face au risque de monopole, et de préserver l’investissement européen au sein des consortiums qui répondront à cet appel d’offres. Ce système permettrait à la fois d’assurer aux acteurs de l’écosystème un niveau d’investissement suffisant pour développer des services capables de concurrencer des acteurs étrangers majeurs, une garantie de concurrence qui protège l’Europe d’un scénario “winner takes all”, mais également d’offrir aux utilisateurs un service équitable et une utilisation optimale des infrastructures publiques.
Dans le cadre de la prochaine présidence française de l’Union européenne, ce projet doit permettre de proposer une troisième voie et de faire valoir la souveraineté économique européenne, notamment par ses acteurs numériques. Les réseaux de mobilité autonomes sont une formidable chance pour la France de donner à l’Europe les moyens de développer de nouveaux champions dans le cadre d’une mutation majeure du monde de demain.