Après de nombreuses années à la tête du leader de l’audit et du conseil en France et en Europe de l’Ouest, EY France, Jean-Pierre Letartre a décidé de s’engager pour sa région, les Hauts-de-France. En juillet 2019, il met son expérience et son réseau au service du développement économique et social de la région, en prenant la présidence d’Entreprises et Cités, l’un des plus importants campus entrepreneuriaux et patronaux de France, qui regroupe près de 3 000 collaborateurs dans une dizaine de structures toutes engagées dans une mission commune : activer la croissance économique et le capital humain des entreprises de la région. En pleine crise sanitaire, Jean-Pierre Letartre nous confie sa vision et insiste sur la nécessité du « jeu collectif » pour faire face aux transformations actuelles. Avec les initiatives pour l’entreprenariat de la région, comme le Fonds Entrepreneurial Territorial de Transformation (FE2T) et « Call&Care », Jean-Pierre Letartre met à profit son expérience et son réseau pour fédérer et trouver des solutions aux problèmes engendrés par la crise. Entre l’évolution fulgurante de la RSE et du numérique et le chemin vers un « capitalisme plus raisonné » qui se dessine, il souligne les transformations du monde de l’entreprenariat révélées par la crise.
- Notre pays traverse une crise économique et sociale majeure. Quels en sont les principaux effets dans les Hauts-de-France aujourd’hui ? L’économie régionale tient-elle bon ?
Nous avons subi cette crise sanitaire avec les forces et les faiblesses de cette région, qui a un sens du collectif important. La région Hauts-de-France a un historique social et entrepreneurial très fort, qui a connu beaucoup de crises mais qui a su se transformer.
La crise a fait ressortir les différences entre secteurs d’activité. Les chefs d’entreprise doivent se tenir prêt à la reprise, s’adapter, mais aussi prendre des décisions qui s’imposent. Parfois, il vaut mieux arrêter plutôt que de continuer à soutenir une activité qui ne pourra plus rebondir. Les entreprises doivent continuer à investir sur le numérique, l’économie responsable et se concentrer sur l’emploi et la formation.
Ce qui est préoccupant aujourd’hui c’est l’hétérogénéité des situations qui se renforce avec la crise, entre des entreprises en très forte croissance et d’autres, en grande difficulté financière, pour qui la situation n’est plus tenable. Il est urgent d’agir et de renforcer la cohésion sur notre territoire pour éviter que les inégalités ne se renforcent.
Dans cet esprit de transformation et de soutien à l’économie du territoire, nous avons créé un fonds innovant, le FE2T (Fonds Entrepreneurial Territorial de Transformation), avec un collectif d’acteurs engagés sur le territoire pour accompagner la transformation et pour garder les belles entreprises qui peuvent se développer sur notre territoire. Ce fonds reflète la nécessité du jeu collectif car aujourd’hui plus que jamais, on ne peut plus agir seul, il faut être plusieurs pour qu’un projet fonctionne.
- La crise sanitaire a fortement mobilisé les acteurs économiques de la région Hauts-de-France. Quel regard portez-vous sur l’engagement sociétal des entreprises et de leurs collaborateurs ?
La situation a montré que l’entreprise est un lieu très important dans l’épanouissement des femmes et des hommes. On ressent aujourd’hui le besoin des chefs d’entreprise et de leurs collaborateurs de s’engager sur le territoire où ils sont. Il n’y a pas de pérennité sans jeu collectif. La semaine dernière encore, nous avons eu l’exemple de la société Inodesign et ses salariés, qui se sont mobilisés pour produire, de chez eux, des câbles et cordons, en vue d’aider OVHcloud dans la reconstruction de ses serveurs.
Aujourd’hui il y un sentiment d’urgence, nous devons accélérer cette collaboration et coopération. Nous devons aller encore plus loin dans notre engagement, avec les entreprises, associations et le pouvoir politique, pour travailler collectivement à la transformation. Il faut résoudre la complexité des enjeux d’aujourd’hui, ensemble, sur le terrain. Nous ne pouvons plus vivre dans un territoire dont les racines s’abiment sans agir, l’engagement n’est plus quelque chose d’annexe, il fait partie de l’ADN de l’entreprise.
- Entreprises & Cités a d’ailleurs lancé aux côtés de sept fondations une initiative unique en son genre dédiée à la lutte contre le décrochage sur le territoire, « Call&Care ». Quelle ambition portez-vous à travers ce dispositif et quels en sont les premiers résultats ?
Nous avons tous ressenti le besoin de rassembler nos énergies envers les « décrocheurs » qui subissent actuellement les conséquences de la crise sanitaire. Pour la première fois, 7 grandes fondations régionales se sont associées pour connecter les offres et les besoins de ceux qui veulent agir pour aider les décrocheurs du Covid. Nous ne pouvons pas avoir un territoire fertile avec des inégalités qui se creusent. Avec Call&Care, nous proposons aux acteurs du territoire et à tous les citoyens de s’engager collectivement, car nous sommes convaincus que chacun détient une partie de la solution. Depuis le 8 février, nous avons déjà traité près de 350 appels, géré plus de 100 contacts et mis en relation 40 besoins avec des engagements. A ce jour nous avons récolté 586 ordinateurs et 46 000 € de dons. Nous sommes confiants sur la suite de cette expérimentation.
- Les confinements ont été sources de nombreuses réflexions sur « le monde d’après ». Croyez-vous en une transformation profonde du capitalisme vers un modèle plus équilibré, plus durable ?
Cette crise n’a pas fait naitre de nouvelles tendances, mais a été un véritable accélérateur de tendances existantes. Des tendances économiques bien sûr, mais surtout un bon sur l’avancée du numérique et sur la RSE. Nous avons tous intégré des révolutions technologiques dans notre quotidien et aujourd’hui, une entreprise qui n’a pas de démarche responsable prend un risque pour sa pérennité et sa compétitivité, mais aussi pour son attractivité auprès des collaborateurs.
Les entreprises ne doivent pas se concentrer uniquement sur la sortie de la crise, mais rester agiles, prêtes à agir, tout en continuant à se transformer pour répondre aux enjeux actuels.
Nous ne passerons pas cette crise de transformation sans partager, échanger et se former. Plus qu’hier encore, nous devons être ouverts au monde, aux autres et aux expertises. C’est la clé d’une transformation réussie. Cette crise nous oblige à nous transformer et nous emmène vers un capitalisme plus raisonné, qui respecte le territoire.
- Aux côtés de la Région et d’Entreprises & Cités et avec le soutien de ses partenaires, l’Institut Choiseul a lancé le Club Choiseul Hauts-de-France. Comment percevez-vous le lancement de ce réseau de décideurs économiques à l’échelle de la grande région ?
La force des Hauts-de-France réside dans l’intelligence collective d’un réseau en perpétuel renouvellement, cimenté par la confiance, le respect et la bienveillance. Nous sommes fiers à travers le Groupe IRD et Entreprises & Cités de soutenir l’Institut Choiseul dans son ambition de promouvoir et soutenir les jeunes dirigeants prometteurs qui joueront un rôle majeur dans l’économie de demain. Ce partenariat résonne avec notre vocation de faire émerger des initiatives régionales entrepreneuriales, en tissant des liens avec tous les acteurs régionaux.
Notre région est riche d’entrepreneurs et dirigeants ambitieux et innovants qui sauront créer la richesse de notre économie de demain en s’appuyant sur les valeurs historiques de notre région.