Après les masques, la Chine déploie sa diplomatie du vaccin – Clémence Mirgalet
Tout le monde a sur les lèvres les noms de Pfizer et Moderna, qui ont fait bondir les bourses mondiales à l’annonce du taux d’efficacité de leur vaccin anti-Covid. Leur concurrentes chinoises sont beaucoup moins connues, pourtant, dans la course au vaccin qui permettrait d’enrayer la propagation de la pandémie de Covid-19, ces entreprises suscitent de grands espoirs. Elles pourraient être parmi les premières à recevoir une autorisation légale à produire en masse et devenir le fer de lance d’une diplomatie du vaccin. La Chine doit encore surmonter de nombreux obstacles avant de devenir un acteur clef sur ce marché mondial et redorer son image, mais elle entend saisir sa chance alors que les Etats-Unis se refusent à assumer une position de leadership dans la lutte contre le Covid-19. Signe que le sujet est éminemment politique, les autorités chinoises ont interdit aux représentants des entreprises productrices de vaccins contre le Covid-19 de faire des déclarations aux médias sans demande d’autorisation préalable.
En Chine plus de 1 million de personnes auraient déjà été vaccinées
Les trois vaccins chinois sont actuellement parmi les premiers mondiaux à attendre les résultats de la phase III de leurs essais cliniques. Le vaccin développé par l’entreprise privée Sinovac et l’entreprise d’Etat Sinopharm sont tous deux en attente de données intermédiaires qui devraient pouvoir conduire à la conclusion de leurs essais cliniques à la fin de l’année 2020 et à une autorisation de mise sur le marché suivi d’un lancement des vaccinations à grande échelle dès janvier 2021.
Zhang Yuntao, vice-président de la filiale biotechnologie du groupe Sinopharm, a déclaré à la fin du mois d’octobre que les préparatifs pour les « autorisations conditionnelles » ont déjà commencé pour les deux vaccins produits par l’entreprise, et qu’une fois obtenues, elles autoriseraient l’administration des vaccins au grand public en Chine. Mais en amont de la disponibilité des données intermédiaires, des centaines de milliers de personnes en Chine ont déjà été vaccinées avec des vaccins encore expérimentaux, après que les autorités chinoises ont accordé des licences d’usage d’urgence (emergency use licensing, EUL) aux trois entreprises les plus avancées, avec de nombreuses personnes payant de leur poche ou demandant à leur employeur de couvrir une partie des frais.
Le 17 novembre, Sinopharm annonce ainsi que près d’un million de personnes en Chine ont déjà été vaccinées avec ses vaccins alors qu’ils sont encore dans la phase III des essais cliniques. Le Président du groupe, Liu Jingzhen, a affirmé qu’aucun effet secondaire grave n’avait été répertorié, et que les personnes inoculées n’avaient pour certaines ressenti que des effets légers. Le vaccin développé par CanSino a quant à lui été autorisé pour la vaccination au sein de l’armée chinoise.
Les vaccins anti-Covid chinois jouissent d’une grande crédibilité en Chine même, de très nombreuses personnes s’étant portées volontaires pour se faire vacciner lors des essais cliniques. La population fait globalement montre d’une foi très solide en la science et en la capacité des entreprises nationales à développer des vaccins sûrs très rapidement.
Une course au vaccin menée par Sinopharm, bras pharmaceutique de L’État chinois
Sinopharm est l’entreprise chinoise la plus avancée dans la course au vaccin. Elle développe deux solutions différentes mais dans les médias, peu voire aucune distinction n’est faite entre ces deux vaccins qui devraient sortir des laboratoires en début d’année 2021. Sinopharm est le nom sous lequel est communément désigné le China National Pharmaceutical Group Corp. Créée en 1987, l’entreprise publique est actuellement entièrement détenue par l’Etat chinois. Il s’agit de la plus grande entreprise pharmaceutique de Chine, comptant plus de 1 500 filiales, parmi lesquelles 6 entités cotées.
Le groupe a mis de côté plus d’un milliard CNY (environ 142 millions USD) en support pour la R&D consacrée au vaccin contre le Covid-19. Deux essais cliniques impliquant l’entreprise d’Etat sont actuellement en cours, elle s’est associée avec deux instituts de recherche différents, qui sont en réalité deux de ses filiales. Le premier est le Beijing Institute of Biological Products. Établi en 2016, cet institut a notamment noué un partenariat avec la Fondation Bill & Melinda Gates pour la production d’un vaccin contre la poliomyélite à bas prix. Selon le Président de Sinopharm, Beijing Institute of Biological Products serait en mesure de produire jusqu’à 120 millions de doses de vaccins anti-Covid annuellement. Le second partenaire de Sinopharm est le Wuhan Institute of Biological Products. Établi en 1990, il s’agit d’un institut qui serait en mesure de produire environ 100 millions de doses du vaccin anti-Covid par an.
Il est intéressant de rappeler que le Wuhan Institute of Biological Products s’est retrouvé en 2017 au cœur d’un scandale qui a entaché l’industrie des vaccins chinoise : en novembre 2017, les autorités découvrent que l’institut a produit 400 520 doses de vaccins ne répondant pas aux normes sanitaires en vigueur. Les vaccins ont été rappelés puis détruits en 2018, et l’institut condamné à payer une amende d’un montant non rendu public. Selon des analystes du secteur, les scandales devraient être évités pour les vaccins contre le Covid-19, en raison du très haut niveau de surveillance auquel sont soumis les acteurs dans la course, et compte tenu du niveau d’attente sans précédent à la fois en Chine et à l’étranger.
Les outsiders privés CanSino et Sinovac
CanSino Biotech Co., Ltd. (CanSino) est la première entreprise chinoise à développer un vaccin au printemps 2020, avec des phases I et II d’essais cliniques lancés à Wuhan dès le 16 mars et le 12 avril. L’entreprise entretient des liens étroits avec le département d’ingénierie biologique de l’académie militaire de médecine dirigée par la major générale Chen Wei, et avec lequel elle développe le vaccin. Chen Wei, 56 ans, a fait l’objet d’une couverture élogieuse dans les médias chinois où, aux côtés d’épidémiologistes de renom, elle est présentée comme « l’héroïne de la lutte contre le virus ». Bien que l’entreprise soit privée, elle entretient donc des liens étroits avec l’armée chinois et son vaccin a d’ailleurs pu être utilisé pour vacciner des militaires dès le mois de juin. CanSino a été fondée en 2009 par deux Chinois travaillant au Canada, dont l’un étant ancien cadre supérieur pour la branche vaccins de Sanofi Canada. Le candidat de CanSino, un vaccin Ad5-nCoV est par ailleurs toujours en phase finale de ses essais cliniques.
Le second outsider, Sinovac Biotech Ltd. (SinoVac) est une entreprise plus ancienne, établie en 1993 par Yin Weidong, un chercheur lié à la prestigieuse Université de Pékin. SinoVac est en train de développer le CoronaVac, un vaccin utilisant une souche du virus Covid-19 chimiquement désactivée. Les phases I et II des recherches ont débuté en Chine à la mi-avril 2020. Lors de ces phases de test 743 volontaires sains, âgés de 18 à 59 ans, ont été engagés dans les essais. Il n’y aurait pas eu d’effets secondaires sévères rencontrés lors de ces phases. Sinovac est en train de construire une usine de production de vaccins en Chine, qui devrait être en mesure de produire environ 100 millions de doses de CoronaVac chaque année.
Après la diplomatie du masque, Pékin s’est désormais engagée dans une diplomatie du vaccin
Lorsque la première vague de Covid-19 s’est abattue sur le monde, la Chine s’est montrée très active pour distribuer, et surtout faire savoir qu’elle distribuait, des masques et équipements de protection médicale à de nombreux pays. Bien que les bénéfices de ce qu’il est convenu d’appeler une diplomatie chinoise du masque n’aient pas été évidents, Pékin poursuit sa diplomatie sanitaire dans le domaine des vaccins.
Pékin a ainsi promis de fournir des vaccins anti-Covid à des dizaines de pays en développement, à la suite d’un discours du Président Xi Jinping prononcé en mai 2020, dans lequel il a appelé à faire des vaccins un bien public mondial. Après des mois d’hésitation, la Chine s’est finalement décidée à rejoindre Covax, le mécanisme de distribution des vaccins géré par l’alliance Gavi soutenue par Bill Gates, la Coalition for Epidemic Preparedness Innovations (CEPI), et l’OMS. Plusieurs experts expliquent que cette décision renforcera la confiance internationale dans les vaccins chinois et conduira à l’intégration de l’industrie chinoise des vaccins à la chaîne d’approvisionnement mondiale à long terme. Une fois dans Covax, les vaccins proposés doivent être préqualifiés par l’OMS, ce qui signifie que les entreprises pharmaceutiques chinoises vont devoir désormais se conformer à des standards plus hauts que les standards internationaux auxquels elles se conformaient jusqu’à présent. La Chine devrait donc tirer un grand bénéfice en termes de crédibilité de son adhésion à Covax.
Cette attitude tranche – mais est-ce là vraiment un hasard ? – avec celle des Etats-Unis qui, au contraire, ont annoncé par la voix de leur Président Donald Trump leur désengagement financier de l’OMS, et leur refus de participer à Covax.
En s’inscrivant dans ce cadre onusien, la Chine permet également à ses entreprises pharmaceutiques de gagner en crédibilité et de développer une stature internationale. Jusqu’à présent, seules quatre entreprises pharmaceutiques chinoises avaient rempli les critères des procédures de préqualification de l’Organisation mondiale de la santé et voient leurs vaccins inscrits sur les listes d’approvisionnement de l’ONU. La pandémie de Covid-19 et la diplomatie des vaccins pourrait donc être un facteur de changement conséquent et durable pour l’industrie chinoise des vaccins, qui s’est jusqu’à présent focalisée sur son vaste marché intérieur, bien qu’en termes de chiffres, elle soit l’une des plus grandes productrices au monde, avec 700 millions de doses produites annuellement, soit environ 20% de la production mondiale. Dans le cas des vaccins anti-Covid, le développement international est également une nécessité pour les entreprises chinoises qui ne peuvent trouver qu’à l’étranger des cohortes suffisamment étendues de populations malades pour tester leurs vaccins.
Une diplomatie pragmatique : la Chine offre des vaccins, ses partenaires étrangers des populations à tester
Les vaccins chinois commencent à être testés largement à l’étranger avant l’obtention des approbations conditionnelles en Chine, via des EULs délivrées par d’autres législateurs nationaux. Et en la matière, les exemples se multiplient dans les pays du Golfe, en Amérique latine et en Asie du Sud-Est. En effet, l’enjeu pour les autorités chinoises est de parvenir à conduire la dernière phase des essais cliniques à grande échelle, et notamment sur des personnes infectées, alors que leur nombre en Chine est tout à fait insuffisant. Une source proche des entreprises chinoises concernées a affirmé que plusieurs pays en développement avaient approché les ambassades chinoises pour transmettre leur intérêt à se procurer des vaccins chinois – principalement des pays qui ne possèdent pas de capacités de production locales. La phase III des essais cliniques des vaccins chinois est donc conduite au travers de plus en plus d’accords bilatéraux passés qui garantissent en échange la fourniture de vaccins ou le transfert de données et/ou de matériel permettant la production de vaccins directement dans les pays tiers.
Sinopharm réalise ainsi ses essais de phase III à l’étranger pour déterminer l’efficacité de ses deux vaccins. Des tests sont en cours aux Emirats Arabes Unis, à Bahreïn, en Egypte, au Pérou, en Argentine et au Maroc. Les Emirats Arabes Unis ont ainsi délivré les premiers une EUL en septembre pour le vaccin de Sinopharm, faisant de lui le premier vaccin anti-Covid chinois à recevoir une licence de l’étranger, et ce afin de vacciner le personnel médical en première ligne dans la lutte contre le Covid-19. Achad Yurianto, directeur au sein du ministère indonésien de la santé, a de son côté déclaré que son pays prévoyait de se procurer 18 millions de doses de vaccins provenant des trois acteurs chinois combinés. Le Maroc participe également aux essais de phase III de Sinopharm et devrait vacciner jusqu’à 5 millions de personnes.
Sinovac a elle débuté sa phase III au Chili, aux Philippines, en Turquie et en Indonésie. Depuis le 25 août, les tests conduits en Indonésie se font sur la base d’un accord dans lequel Sinovac s’engage à fournir à l’entreprise local Bio Farma des vaccins en vrac pour lui permettre de produire ensuite au moins 40 millions de doses de CoronaVac localement avant mars 2021. Au Brésil, un problème rencontré avec le CoronaVac a fait grand bruit à la fin du mois d’octobre, entraînant la suspension des essais avant que ces derniers ne reprennent le 11 novembre. Le directeur de l’institut Butantan de São Paulo, qui conduit les tests de phase III, a déclaré que les premiers essais sur 9000 volontaires s’étaient avérés sûrs mais au-delà d’une problématique purement médicale, ces tests réalisés par une entreprise chinoise sont au coeur d’une importante controverse politique.
Quant à CanSino, elle se tourne vers la Russie, le Pakistan, l’Arabie Saoudite, le Chili et le Mexique pour commencer sa phase III, avec l’objectif de pouvoir recruter environ 40 000 candidats aux tests. La Russie a également donné son accord pour une phase III conduite mais exclusivement en collaboration avec l’entreprise NPO Petrovax Pharm.
On peut remarquer l’absence de partenariats entre les entreprises chinoises et des pays occidentaux. Pourtant, en mai, CanSino avait établi un pacte avec le National Research Council du Canada pour débuter des tests du vaccin Ad5-nCoV cet automne, en raison des liens historiques qui lient les fondateurs de l’entreprise au Canada. Pourtant, les tensions politiques ont eu raison de cette collaboration : les cargaisons de matériel pour les essais cliniques ont été retenus à la douane par les autorités chinoises dans ce que certains ont reconnu comme étant des représailles après que le Canada a commencé le procès en extradition de la directrice financière du géant chinois Huawei à la demande des Etats-Unis, en janvier 2020. Voyant le processus de la phase III en mauvaise passe, CanSino a été contraint de se tourner vers l’Arabie Saoudite et la Russie pour ne pas perdre de temps prouvant, s’il le fallait, que la coopération médicale reste avant tout une affaire politique.
Une diplomatie des vaccins qui n’est pas sans risque
La question des capacités de production va se poser rapidement de manière aiguë : Sinovac annonce par exemple la construction d’une usine de production de vaccins, et si les moyens politiques sont à la hauteur, on se souvient de l’hôpital provisoire monté dans la municipalité de Wuhan en quelques jours, il est possible que les choses aillent très vite. Mais à 220 millions de doses par an, capacité actuelle de production de Sinopharm, il faudrait déjà 7 ans pour vacciner l’ensemble de la seule population chinoise, comment dès lors remplir les engagements pris auprès des pays partenaires ?
Il apparaît manifeste que l’Etat chinois ne fera jouer aucune concurrence entre les différents acteurs en ce domaine, s’il s’agit de satisfaire la population et de respecter des engagements bilatéraux qui servent la puissance chinoise sur la scène internationale. On peut dès lors aisément imaginer que la production des différents vaccins soit répartie entre les différents acteurs nationaux, notamment si le vaccin Sinopharm prend du retard par rapport aux deux autres. Forte de plusieurs sites de production répartis sur l’ensemble du territoire chinois, Sinopharm pourrait également mettre sa chaîne production-logistique au service d’autres acteurs pour faciliter la distribution à la fois au niveau national et international, en particulier pour des produits fragiles devant être conservés à des températures très basses pour garantir leur efficacité.
Les tensions sur les capacités de production ne sont cependant pas le seul risque de cette diplomatie du vaccin. Les vaccins sont un sujet extrêmement sensible pour les opinions publiques. En cas de problème, même minime, qui se ferait jour sur l’un d’eux, la Chine pourrait perdre beaucoup en termes d’image et de crédibilité scientifique. Cependant, alors que son image à l’international est plus dégradée que jamais, Pékin entend courir ce risque pour redorer son blason.