Il y a quelques mois encore, il était de bon ton de saluer les « performances environnementales » de la Chine. On se plaisait à souligner que l’empire du Milieu n’était « sans doute pas » une démocratie mais qu’il assurait incontestablement un « leadership » en matière de lutte contre le changement climatique. La politique énergétique chinoise, la stratégie de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et les résultats que l’on peut en attendre semblent remettre en cause cette vision idyllique.
Une croissance énergivore
De 1949 à 1978, la quasi-totalité de l’économie chinoise est contrôlée par l’État (en fait le Parti). Durant ces presque trois décennies, comme le souligne Angus Maddison, « la croissance de la Chine a été plus lente que celle des autres économies communistes et un peu inférieure à la moyenne mondiale [1]». Parmi les causes qui expliquent cette situation, certaines sont endogènes : une gouvernance de type léniniste, le Grand Bond en avant (1958-1960), la Révolution culturelle (1967-1969 voire 1976), d’autres sont exogènes : les embargos américain entre 1952 et 1973 et soviétique à partir de 1960.
L’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping à partir de 1977 va radicalement modifier cette situation. C’est ainsi que le troisième Plénum du 11e Comité central qui se tient du 18 au 22 décembre 1978 va acter la politique de réformes et d’ouverture. Une nouvelle ère économique s’ouvre alors pour la Chine qui va passer de la dix-septième place mondiale en 1980 à la deuxième en 2010. Entre 1980 et 2017, le PIB chinois est multiplié par un peu plus de 26 (il représente en 2017 13 % du PIB mondial) tandis que le PIB par habitant est multiplié par plus de 18 (Tableau 1).
De telles tendances maintenues aussi longtemps n’ont été possibles que grâce à une consommation d’énergie sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Ainsi, la demande totale d’énergie primaire est passée de 602 à 3 077 millions de tonnes équivalent pétrole, soit une multiplication par 5,1. Et c’est ainsi que la Chine représente en 2019 plus de 24 % de la demande mondiale d’énergie contre un peu moins de 9 % en 2000, une demande mondiale d’énergie qui a été elle-même multipliée par 1,5 (Tableau 2).
De telles évolutions ont naturellement fait de la Chine le premier émetteur de gaz à effet de serre et en particulier de CO2. Ainsi, les émissions chinoise de CO2 résultant de l’utilisation d’énergies fossiles sont passés de 1,37 à 9,30 milliards de tonnes entre 1980 et 2017, la Chine dépassant de peu le niveau américain en 2007. Une telle situation est due à l’augmentation de la consommation d’énergie mais également à un mix énergétique largement fondé sur le charbon. Certes, entre 2000 et 2019 la dépendance au charbon à légèrement décru, passant de 61,4 % à 57,6 %, mais la consommation énergétique chinoise a été multipliée par plus de 4. Le résultat est sans appel : la Chine est aujourd’hui, et de loin, le premier utilisateur de charbon au monde (51,7 % du total mondial).
Un virage environnemental
Cette addiction au charbon a provoqué de nombreux dommages, en particulier en termes de santé publique. Symbole de la détérioration de la qualité de l’air, le néologisme « airpocalypse » fait son apparition au cours des années 2000 pour désigner les conséquences désastreuses des niveaux de pollution record observés dans les grandes villes chinoises. Une étude parue en 2015 basée sur des mesures chinoises met en évidence que la pollution de l’air cause dans le pays 1,6 million de morts par an, soit 17 % de la totalité des décès. 83 % des Chinois sont exposés à des niveaux de pollution de l’air considérés, aux États-Unis, comme dangereux pour la santé, ou dangereux pour des personnes fragiles[2]. Le mécontentement engendré par une telle dégradation de la qualité de vie est susceptible de saper, à terme, la légitimité d’un Parti communiste qui ne veut rien céder en matière de libertés politiques. À cela s’ajoute la prise de conscience par les autorités elles-mêmes des risques que le changement climatique fait peser sur le territoire chinois (mise en danger des villes côtières, accroissement de la désertification…).
D’où un certain nombre de mesures prises à partir de la deuxième moitié des années 2000. Ainsi, en 2007, le XVIIe Congrès adopte la notion de « développement scientifique » afin de marquer l’orientation des futures politiques publiques vers une meilleure prise en compte des questions sociales et environnementales. Dans la foulée de cette résolution, l’année suivante le Bureau de protection de l’environnement (créé en 1974) devient ministère de Protection de l’environnement… Depuis les mesures se sont multipliées, les principales étant résumées dans le Tableau 3 ci-dessous.
À l’évidence, la Chine fait de gros efforts en matière de lutte contre la pollution et contre le changement climatique. Son mix énergétique, largement fondé sur le charbon lui permet, avec les mêmes mesures, de réduire en même temps les rejets de CO2 et les émissions de microparticules si dangereuses pour la santé. C’est d’ailleurs l’un des éléments qui peut expliquer l’engagement de Pékin dans l’accord de Paris.
Certains chiffres sont encourageants. Ainsi, la production d’électricité d’origine solaire a augmenté de 78 % en 2017 et de 44% en 2018. Pour ces deux années, la production d’origine éolienne a crû respectivement de 27 et 21 %; l’hydroélectricité de 1,7 % et 1,9 % et le nucléaire de 16 et 18 %. Malheureusement, comme le souligne Thibault Laconde, « ces progrès sont réduits à néant par la croissance de la demande : en 2018, la production nucléaire et renouvelable chinoise a certes connu une hausse impressionnante avec 147 TWh supplémentaire mais dans le même temps la consommation a crû de 465 TWh. Il a donc fallu 318TWh de fossiles en plus pour combler l’écart [3]», d’où un assouplissement du moratoire de 2017 sur la construction de centrales à charbon.
Une addiction au charbon
Les projections publiées en 2017 par l’Agence internationale de l’énergie invitent d’ailleurs à la prudence. Elles mettent en évidence que si Pékin ajoutait aux politiques déjà mises en œuvre les mesures annoncées notamment dans le 13e plan – ce que l’AIE nomme le scénario « nouvelles politiques » –, alors la consommation totale d’énergie passerait de 3 milliards de tonnes équivalent pétrole en 2016 à presque 3,8 milliards en 2040, soit une augmentation annuelle de 1 %. Dit autrement, malgré les efforts déployés, la Chine sera donc encore en 2040 le premier consommateur de charbon au monde et en 2030 le premier consommateur de pétrole[4].
En fait, la diversification du mix énergétique apparaissant insuffisante pour réduire les émissions de GES et la pollution dans des délais et des proportions acceptables, les dirigeants chinois ont décidé de mettre en œuvre une politique d’amélioration des performances des centrales à charbon. Celle-ci s’est notamment traduite par l’édiction de normes extrêmement strictes. D’où la construction de nombreuses centrales extrêmement performantes en termes de consommation de combustible par unité d’énergie produite. Ces nouvelles centrales – dites « supercritiques » ou « ultrasupercritiques » – représentent désormais respectivement 19 et 25% du parc chinois. À titre de comparaison, les États-Unis, quant à eux, ne possèdent qu’une seule centrale ultrasupercritique. Les résultats sont au rendez-vous : en 2006, il fallait plus de 340 grammes de charbon pour produire un kilowattheure, en 2018, il en fallait en moyenne 308[5].
Pour autant, rien n’est joué. En effet, entre 2010 et 2015, les rejets de CO2 chinois dus à l’utilisation de combustibles fossiles ont crû de plus de 17 %, passant de 7,7 à 9,0 milliards de tonnes[6]! Par ailleurs, un rapport du réseau de chercheurs du Global Energy Monitor (ex CoalSwarm) paru en septembre 2018 a mis en évidence, en se fondant sur des photos satellitaires et l’examen de nombreux documents, qu’un total de 259 GW de capacités de production d’électricité par des centrales à charbon était en cours de construction en Chine. Un tel montant représente environ la capacité de production de la totalité des centrales à charbon américaines (266 GW)! Ces 259 GW viennent s’ajouter au 993 GW déjà installés et compromettent l’objectif que s’était fixé Pékin de ne pas dépasser 1 100 GW de production d’électricité grâce au charbon au cours du 13e plan[7]. Un an plus tard, un autre rapport montre qu’entre 2018 et juin 2019, la Chine a augmenté sa capacité de production d’électricité par des centrales à charbon de 42,9GW tandis que le reste du monde l’a réduite de 8,1[8].
La pandémie de Covid 19 risque d’aggraver les choses. En effet, soucieux de relancer l’activité économique, Pékin a multiplié les autorisations de constructions de centrales à charbon. La Chine a aujourd’hui 249,6 GW de capacité de production d’électricité par centrales à charbon en projet (97,8 en construction et 151,8 prévus), soit 21% de plus qu’à la fin de 2019 (205,9). Au cours des six premiers mois de 2019, le secteur des centrales à charbon a proposé 40,8 GW de nouvelles centrales, soit l’équivalent de la capacité de production de la totalité du parc sud-africain (41,4)[9].
Toutes ces décisions vont d’ailleurs accroître les surcapacités de production d’électricité. En effet, le facteur de charge des centrales thermiques chinoises a d’ores et déjà baissé depuis 2010 de 60 à 50%.
À cela s’ajoute l’exportation massive de centrales à charbon le long des nouvelles routes de la soie. Ainsi, le Global Environnement Institute estime qu’à la fin de l’année 2016, 240 projets chinois de centrales à charbon étaient en préparation ou en réalisation dans 25 des 65 pays situés sur les nouvelles routes de la soie, ce qui représente 30% des nouveaux projets de centrales de ce type dans le monde[10]. Une bonne partie de ces centrales sont d’ailleurs d’une technologie dépassée et ne pourraient plus être construites en Chine[11].
Il est bien évidemment beaucoup trop tôt pour se prononcer sur l’évolution des politiques environnementales chinoises qui seront mises en œuvre après la pandémie de la Covid 19. Néanmoins, les informations dont nous disposons actuellement tendent à faire penser que le « monde d’après » ne sera pas, du moins en Chine, radicalement plus « vert » que ne l’a été le monde d’avant. Quant aux engagements environnementaux de Pékin, le sort réservé à Hong Kong démontre, une fois de plus, que, particulièrement avec les dictateurs, les promesses n’engagent que ceux qui y croient.
[1] Angus Maddison, L’économie mondiale. Une perspective millénaire, Paris, OCDE, 2001, p. 153.
[2] « Mapping the Invisible Scourge », The Economist, 15 août 2015, p. 52.
[3] Thibault Laconde, « Transition énergétique ; des efforts qui tardent à payer », La Jaune et la Rouge (Ecole Polytechnique), n° 743, mars 2019, p. 43.
[4] International Energy Agency, World Energy Outlook 2017, Paris, OECD/IEA, 2017, p. 511 et 609.
[5] Thibault Laconde, op. cit., p. 44.
[6] International Energy Agency, CO2 emissions from fuel combustion. 2017, Paris, OECD/IEA, 2017, p. II.181.
[7] Christine Shearer, Aiqun Yu, Ted Nace, Tsunami Warning. Can China’s central Authorities Stop a Massive Surge in New Coal Plant Caused By Provincial Overpermitting?, CoalSwarm, septembre 2018, 19 p. (texte disponible sur Internet).
[8] Christine Shearer, Aiqun Yu, Ted Nace, Out of Step. China Is Driving the Continued Growth of the Global Coal Fleet, Global Energy Monitor, novembre 2019, 17 p. (texte disponible sur Internet).
[9] Global Energy Monitor et Centre for Research on Energy and Clean Air, A New Coal Boom in China, juin 2020, 4 p. (texte disponible sur Internet).
[10] Ren Peng, Liu Chang and Zhang Liwen, China’s involvement in coal-fired power projects along the belt and road, Global Environmental Institute, mai 2017, p. 1 et 6 (texte disponible sur internet).
[11] Simon Nicholas, « A New Generation of Coal Power in Belt and Road Countries Would Be Toxic for the Environment and for China’s Reputation », South China Morning Post, 10 février 2019. URL: https://www.scmp.com/business/banking-finance/article/2185592/new-generation-coal-power-belt-and-road-countries-would-be